À Venise, où sont les nouvelles géographies ? Les indications du commissaire Ralph Rugoff étaient succinctes : n'inviter que des artistes vivants en prise avec le monde d’aujourd’hui ; ces mêmes artistes dans deux expositions radicalement différentes ; pour montrer les effets bien réels des fake news. L’exposition principale « May You Live in Interesting Times » déploie un vaste catalogue : installations vidéo intégrant le rapport aux médias transformé par Internet, céramiques et textiles en lien avec des économies locales, identités prises comme facteurs d’émancipation, prise de conscience écologique à l’ère de l’anthropocène, implications émotionnelles des technologies. Ce que cette Biennale ne change pas, en revanche, c'est l’hégémonie écrasante des artistes nés aux États-Unis (17 sur 71), loin devant la Chine et la France (6), l’Allemagne, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et le Royaume-Uni (3). Cela ne va pas sans faire débat dans les allées d'une biennale qui proclame le statut de plus en plus transnational des artistes, la multipolarité et la progression de nouvelles géographies de l’art, tout en restant dépendante de l’anachronisme des représentations nationales. Le constat s’aggrave quand on regarde où vivent et travaillent les artistes – 26, soit un tiers, aux États-Unis, 18 à Berlin –, interrogeant la vision centralisée du monde de l’art que propose Rugoff. Plutôt que les nations, ce sont alors des questions transversales – la perception transformée des identités de genre autrefois figées ou la diaspora noire confrontée aux frontières et aux inégalités – qui, paradoxalement, portent le mieux une réflexion sur notre condition commune.
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