Le Quotidien de l'Art

Expositions

15 pavillons à ne pas manquer

Pavillon CANADA
Collectif Isuma (Zacharias Kunuk et Norman Cohn), sur le site de "One Day in the Life of Noah Piugattuk", 2018, installation vidéo numérique 4K, 112 minutes, Inuktitut-Anglais.
Pavillon CANADA
Collectif Isuma (Zacharias Kunuk et Norman Cohn), sur le site de "One Day in the Life of Noah Piugattuk", 2018, installation vidéo numérique 4K, 112 minutes, Inuktitut-Anglais.
Photo Levy Uttak/Courtesy Isuma Distribution International.
Pavillon CHILI
Voluspa Jarpa, Subaltern Portraits
Gallery: Banana Republic 2, Série "Altered Views", 2019.
Pavillon CHILI
Voluspa Jarpa, Subaltern Portraits
Gallery: Banana Republic 2, Série "Altered Views", 2019.
Photo Rodrigo Merino.
Pavillon CHILI
Voluspa Jarpa, Subaltern Portraits Gallery: Human Zoos 7, Série "Altered Views", 2019.
Pavillon CHILI
Voluspa Jarpa, Subaltern Portraits Gallery: Human Zoos 7, Série "Altered Views", 2019.
Photo Rodrigo Merino.
Pavillon ALBANIE
Dritan Zeneli, Maybe the cosmos is not so extraordinary, 2019, installation vidéo sculpturale à deux canaux.
Pavillon ALBANIE
Dritan Zeneli, Maybe the cosmos is not so extraordinary, 2019, installation vidéo sculpturale à deux canaux.
© Dritan Zeneli/© Prometeo gallery di Ida Pisani, Milan.
Pavillon LUXEMBOURG
Marco Godinho, Written by Water, 2013-2019, matériel de recherche.
Pavillon LUXEMBOURG
Marco Godinho, Written by Water, 2013-2019, matériel de recherche.
Courtesy Marco Godinho/Photo Fábio Godinho.
Pavillon MEXIQUE
Pablo Vargas Lugo, Actos de dios, 2019.
Pavillon MEXIQUE
Pablo Vargas Lugo, Actos de dios, 2019.
Photo Jessica Villamil.
Pavillon ITALIE
Liliana Moro, La Passeggiata, 1988, 70 paires de patins en fer faite à la main, roues, chaîne, dimensions variables.
Pavillon ITALIE
Liliana Moro, La Passeggiata, 1988, 70 paires de patins en fer faite à la main, roues, chaîne, dimensions variables.
Courtesy Galleria de’ Foscherari, Bologne.
Pavillon ITALIE
Enrico David, Fortress Shadow, 2017, Jesmonite, acier patiné, 149 x 116 x 20 cm.
Pavillon ITALIE
Enrico David, Fortress Shadow, 2017, Jesmonite, acier patiné, 149 x 116 x 20 cm.
© Enrico David/Courtesy Michael Werner Gallery, New York, Londres.
Pavillon GHANA
Lynette Yiadom-Boakye, Radical Trysts, 2018, huile sur lin, 180 x 160 cm.
Pavillon GHANA
Lynette Yiadom-Boakye, Radical Trysts, 2018, huile sur lin, 180 x 160 cm.
Courtesy Lynette Yiadom-Boakye/Corvi-Mora, Londres/Jack Shainman Gallery, New York.
Pavillon GHANA
Ibrahim Mahama. Fracture, Tel Aviv Museum of Art, du 9 décembre 2016 au 27 mai 2017.
Pavillon GHANA
Ibrahim Mahama. Fracture, Tel Aviv Museum of Art, du 9 décembre 2016 au 27 mai 2017.
© & photo Ibrahim Mahama/Courtesy White Cube.
Pavillon GHANA
El Anatsui. TSIATSIA – Searching for Connection, 2013, installation sur la façade de la Burlington House, Royal Academy of Arts à Londres, 1560 x 2500 cm.
Pavillon GHANA
El Anatsui. TSIATSIA – Searching for Connection, 2013, installation sur la façade de la Burlington House, Royal Academy of Arts à Londres, 1560 x 2500 cm.
Courtesy October Gallery, Londres.
Pavillon PAKISTAN
Naiza Khan, Building Terrain III, 2013, tirage giclée, 93 x 129,5 cm.
Pavillon PAKISTAN
Naiza Khan, Building Terrain III, 2013, tirage giclée, 93 x 129,5 cm.
Courtesy Naiza Khan et Rossi & Rossi.
Pavillon ZIMBABWE
Neville Starling, 'White Lies', détail d'installation.
Pavillon ZIMBABWE
Neville Starling, 'White Lies', détail d'installation.
© Tyburn Gallery/Coll. National Gallery of Zimbabwe.
Pavillon MADAGASCAR
Joël Andrianomearisoa, I have forgotten the night, 2019.
Pavillon MADAGASCAR
Joël Andrianomearisoa, I have forgotten the night, 2019.
Courtesy Joël Andrianomearisoa/© Patrice Sour.
Pavillon SUISSE
Pauline Boudry / Renate Lorenz, Opaque , 2014, installation avec film et objets.
Pavillon SUISSE
Pauline Boudry / Renate Lorenz, Opaque , 2014, installation avec film et objets.
Coll. Frac Lorraine, Metz/© Pauline Boudry et Renate Lorenz.
Pavillon ETATS UNIS
Martin Puryear, sculpture pour le pavillon des États-Unis, en cours de fabrication, 2019.
Pavillon ETATS UNIS
Martin Puryear, sculpture pour le pavillon des États-Unis, en cours de fabrication, 2019.
© Yasunori Matsui/Courtesy Madison Square Park Conservancy.
Pavillon GRANDE BRETAGNE
Cathy Wilkes, Untitled (Possil, at last), 2013 (détail), techniques mixtes, dimensions variables, vue de l'installation au MoMA PS1 du 22 octobre 2017 au 11 mars 2018.
Pavillon GRANDE BRETAGNE
Cathy Wilkes, Untitled (Possil, at last), 2013 (détail), techniques mixtes, dimensions variables, vue de l'installation au MoMA PS1 du 22 octobre 2017 au 11 mars 2018.
Courtesy MoMA PS1/Photo Pablo Enriquez/Courtesy Cathy Wilkes et The Modern Institute/Toby Webster Ltd, Glasgow.

La Biennale accueille cette année 90 représentations nationales, réparties à parts à peu près égales entre les Giardini, l'Arsenale et les calli de Venise. Voici nos coups de cœur.

1983, année dystopique

« Peut-être le cosmos n’est-il pas si extraordinaire » : à partir de cette boutade, Driant Zeneli, jeune talent né en 1983, nous fait basculer dans une science-fiction en trois dimensions, inspirée du roman On the way to Epsilon Eridani (1983) du physicien albanais Arion Hysenbegas. Au cœur de son installation immersive, une parabole géopolitique tournée à Metallurgjik, complexe sidérurgique désaffecté qu’il fait basculer dans la dystopie. Pour imaginer ce pavillon, l’artiste albanais a été accompagné par Alicia Knock – 36 ans, elle aussi –, conservatrice au Centre Pompidou et très bonne connaisseuse de cette scène émergente.

Contestataire depuis 1970

Dans la famille Valie Export, je demande Renate ! On pourrait ne voir en elle que la version autrichienne, et méconnue, de Cindy Sherman, tant elle a su se grimer et se métamorphoser de la façon la plus sarcastique. Mais ce serait méjuger du travail de cette pionnière de l’art féministe, qui œuvre depuis près d’un demi-siècle. Première femme à investir ce pavillon en cent vingt ans, Renate Bertlmann promet de secouer le Landernau. Titre de son projet : « Discordo Ergo Sum ». Je conteste, donc je suis. Un appel à la résistance modéré par une autre digression autour du slogan cartésien, « Amo Ergo Sum », qu’elle met en scène dans une installation invasive. Éros et Thanatos, donc je suis.

Récits de la banquise

Nation inuit à l’honneur ! Peu de pays sont aussi attentifs à la création des peuples autochtones que le Canada. La preuve avec ce pavillon, confié au collectif Isuma. Un terme qui signifie, en inuktitut, « état de conscience ». Les artistes sélectionnés dévoilent d’un point de vue contemporain les richesses de cette culture passée, en une génération, « de l’âge de pierre à l’ère digitale », résume Zacharias Kunuk, l’un des chefs de file de cette compagnie qui œuvre notamment à recueillir grâce à l’art vidéo les récits des descendants de Nanouk.

Portraits de nations d’opprimés

Faire vriller les récits des dominants, réécrire l’histoire du point de vue des opprimés, casser les perspectives classiques : Voluspa Jarpa est tout entière à ce combat, qu’elle exploite des archives déclassifiées des services secrets américains ou qu’elle évoque la propagande des années de plomb en Italie. Pour Venise, elle s’emploie une nouvelle fois à déjouer les grands récits européocentrés à travers, notamment, une série inédite de « portraits subalternes ». La beauté par la marge…

Quel statut pour la liberté ?

Cette exposition, il l’a imaginée « comme artiste autant que comme citoyen ». Rien d’étonnant pour qui connaît le travail de Martin Puryear : voilà près de cinquante ans que le vétéran des pavillons vénitiens (il est né en 1941) interroge les notions de démocratie et de citoyenneté, ainsi que l’histoire du peuple noir. Mais le mystère a plané jusqu'à la dernière minute sur ses nouvelles sculptures pour le bâtiment néoclassique des États-Unis, et sur l’installation monumentale imaginée pour la cour.

Mille salades écrites à l’encre de poulpe

Des poulpes qui vous prennent dans leurs tentacules pensants, un voyage initiatique, des récits à tout-va… Bien malin qui pourrait prédire à quoi va ressembler le pavillon français sous influence de Laure Prouvost : l’artiste est si fantasque, si prompte à s’enfuir vers le mentir-vrai, si farfelue dans ses choix esthétiques, que le public peut s’attendre à tout. Ce que l’on en sait, tout de même ? Pour la biennale, l’artiste a inventé un univers immersif, qui se déploie autour d’un road-movie tourné en début d’année. « Deep see blue surrounding you/Vois ce bleu profond te fondre », composé avec l’aide de la commissaire d’exposition Martha Kirszenbaum, qui s’y connaît, elle aussi, en exubérance, s’envisage, selon cette dernière, comme « un voyage échappatoire vers un ailleurs idéal, teinté d’utopie et de surréalisme. Un périple vers un univers liquide et tentaculaire, porté par une réflexion autour des générations et de l’identité, de ce qui nous lie ou de ce qui nous éloigne ». Mais, pour être plus précis ? « Ce sera un pavillon idéal, où des vers de terre nous masseront les pieds, où les avions fonctionneront à la pomme de terre, où il pleuvra des graines de grenade. Ici les poulpes nagent le long des murs, et l’on utilise leur encre pour écrire des romans. Et derrière chaque pierre se cachera une framboise rapportée par les poissons. » Les mots d’ordre de ce pays des merveilles ? « Déconnexion, décalage, exploration du langage et de son appropriation et surtout de ses mésappropriations », ces lapsus et autres détours qu’entraîne toute traduction, et dont raffole l’artiste française installée à Londres depuis ses 18 ans. Français, italien, arabe, anglais, magie, danse, musique… sur la planète Prouvost, on parle mille langues. Venise apparaît comme une inspiration essentielle, « ville flottante conçue sur l’eau et par l’eau, mais aussi ville de façade ». Cela n’empêche pas la titulaire du Turner Prize 2013 de nous embarquer dans son voyage vers la banlieue et les tours Nuages de Nanterre dessinées par Émile Aillaud, de faire un stop à la Grande Borne de Grigny, après un coucou au Facteur Cheval, pour finir sur les terrils de Roubaix, d’où est originaire l’artiste. Bref, Martha Kirszenbaum le promet : « Nous allons vous en raconter des salades ! »

Réflexions sur l'Afrique du XXIe siècle

Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître ! Le Ghana inaugure sa toute première participation avec une collection de pépites. Même la scénographie est stylée, inspirée des maisons de terre en ellipse de l’est du pays et signée de l’architecte David Adjaye (auteur, notamment, du Smithsonian National Museum of African American History and Culture à Washington). Quant aux artistes ? La vedette El Anatsui et ses tentures d’or, la peintre Lynette Yiadom-Boakye, célèbre pour ses portraits, ou encore le somptueux vidéaste John Akomfrah.

Tableaux morts-vivants

Des silhouettes sans visage, des objets à l’âme mélancolique, des tableaux vivant comme seuls les fantômes savent vivre… Par ses absences, par ses silences, l’univers envoûtant de Cathy Wilkes devrait faire s’engouffrer les visiteurs dans un monde flottant, ordonnancé par la silhouette de mannequins en déshérence. Au programme, deuil et tendresse, empathie et autobiographie… L’artiste, née en Irlande du Nord, élevée en Écosse et consacrée l’an passé par le MoMA PS1, est dans la top list du Lion d’or.

Labyrinthe à trois têtes

La nomination de Milovan Farronato, commissaire chevronné et cosmopolite (de la Gallerie Civica de Modène à la Biennale d'Istanbul, du théâtre Mycorial en Pologne aux Serpentine Galleries de Londres) mais personnalité atypique jouant des genres, avait fait tiquer certains bien-pensants. Aimant brouiller les pistes, il propose un pavillon sur le thème du labyrinthe, inspiré d'écrits de Calvino et de Borges où il a réuni trois artistes qui savent remettre en cause nos certitudes. Il y a là Liliana Moro (née en 1961) et Enrico David (né en 1967), dont on connaît les installations et les sculptures dérangeantes. Mais il y a aussi la benjamine, pourtant déjà décédée, Chiara Fumai (1978-2017), très remarquée par ses performances à documenta en 2012, et dont ce sera l'occasion de mesurer l'héritage par un projet posthume.

L’Europe liquide

Le Luxembourg déménage, et quitte son charmant palais sur le Grand Canal pour l’Arsenale. Un geste symboliquement fort, qu’il accompagne d’un choix parfait : Marco Godinho est un artiste passionnant. Il a composé ici « une rêverie à la Homère, autour d’allers-retours entre le centre de l’Europe qu’est le Luxembourg et un sud rêvé et précaire », résume cet enfant de la révolution des Œillets. Un cahier plongé dans l’eau de la Méditerranée, en un geste rituel, « travail d’invisible mémoire sur ce cimetière à ciel ouvert qu’elle est devenue », des Iliades évidées pour n’en laisser apparaître que le squelette, des récits traversés de vent et des rencontres aveugles…. Son odyssée de peu s’inscrit merveilleusement dans les vapeurs de Venise.

Une nuit oubliée

Madagascar participe pour la première fois cette année à la Biennale, signe d’une dynamique nouvelle pour ce pays en pleine mutation, comme de nombreux autres en Afrique. C’est l’artiste Joël Andrianomearisoa, 42 ans, qui le représente avec une exposition dont le commissariat a été confié à Rina Ralay Ranaivo et Emmanuel Daydé. Situé à l’Arsenale, le projet entend rendre hommage au noir, ton fétiche de l’artiste, aux infinies résonances. La multiplicité des médiums utilisés par Joël Andrianomearisoa – les tissus et le papier, qu’il découpe en fragments chatoyants, le bois, la pierre, les miroirs, voire les parfums –, s’exprime dans des installations, œuvres murales ou sculptures dont la forte teneur sensible se manifeste en particulier dans la poésie des titres. 

L’art comme religion

Avec son installation vidéo Actos de Dios (actes de Dieu), Pablo Vargas Lugo réinterprète l’Ancien Testament interrogeant de ce fait le concept de spiritualité et la manière dont il continue d’infuser dans le discours politique et l’imaginaire culturel commun. Sous la houlette de la commissaire d’exposition Magali Arriola, les deux vidéos de 15 minutes présentées par l’artiste ont été tournées au nord-est du Mexique à Cuatro Ciénegas.

Immersion sur l’île de Manora

Avec ses peintures, ses dessins et diverses œuvres multimédiales, Naiza Khan (formée au Royaume-Uni et vivant entre Londres et Karachi) explore la vie contemporaine sur Manora, petite île située au sud de la ville portuaire de Karachi. Pour sa toute première participation officielle à la Biennale, le Pakistan offre une image de lui-même au microscope. L’artiste, dont le travail est scénographié par la curatrice Zahra Khan, examine l’évolution d'un endroit spécifiques du pays après plusieurs années de recherche.

La palme du glam

En cette Venise 2019, les femmes sont à l’honneur. Mais c’est le pavillon suisse qui remporte la palme. Sous la houlette de Charlotte Laubard (ancienne directrice du CAPC de Bordeaux à qui l’on doit notamment une belle Nuit blanche parisienne), les détonantes Pauline Boudry & Renate Lorenz mettent en scène une vaste installation autour de leur dernier opus vidéo, parabole politique sur l’acceptation de la différence. Où il est question de résistance, de techniques de guérilla, de danse urbaine et, bien sûr, de culture queer, comme toujours chez ce fascinant duo glam-activiste.

Un « conte sans tête »

Pour sa 5e participation à la Biennale de Venise, le Zimbabwe, pays actuellement soumis à un climat politique instable et récemment ravagé par un cyclone, a convié quatre artistes pour une exposition intitulée « Soko Risina Musoro (The Tale without a Head) ». Son commissaire, Raphael Chikukwa, directeur de la National Gallery of Zimbabwe, y réunit Georgina Maxim, auteur de sculptures textiles baroques, Neville Starling, qui explore notamment les dérivés techniques de la photographie et réalise des installations mémorielles, ainsi que les peintres Cosmas Shiridzinomwa, aux toiles expressionnistes, et la jeune Kudzanai Violet Hwami, dont on a notamment pu voir les vastes portraits à la dernière Biennale de Rennes.

Article issu de l'édition Hors-série du 11 mai 2019