Acheter à bas prix et redresser la valeur est le cœur de métier de François Pinault dans les affaires – dans le secteur de l’art aussi. Avec une puissance de feu sans commune mesure, il s’est fait une spécialité de relancer des artistes sur une pente glissante. En 2017, la cote de Damien Hirst, ex-Young British Artist, avait chuté autant que son aura, il était urgent de redonner des couleurs à ses pois. En lui offrant un double écrin vénitien – à la Pointe de la Douane et au Palazzo Grassi –, le méga-collectionneur a réveillé l’appétit des collectionneurs ordinaires pour les papillons, les mouches et les pilules alignées, qui avaient fini par lasser le marché.
Fort de ce succès qui a permis au Britannique de rebondir et de livrer aujourd’hui de grandes tartines de cerisiers en fleurs, François Pinault remet ça, le 15 mai, avec un autre artiste qui n’est plus ce qu’il était : à New York, sa maison de vente Christie’s lancera l’opération « Rescue Koons » en proposant l'une des trois éditions du Rabbit de 1986, issue de la collection S.I. Newhouse, décédé en 2017.
Selon le galeriste Stéphane Corréard, « le mouvement hostile à l’installation du Bouquet de tulipes face au Palais de Tokyo a été révélateur d’une forme de suspicion assez générale du monde de l’art à l’endroit de ce que son travail est devenu : spectaculaire, spéculatif et industriel ». De fait, poursuit le même commentateur avisé, « la mise en vente d’une œuvre produite en 1986, sans doute la dernière artistiquement importante, arrive au moment précis où les investisseurs qui ont misé sur lui ont besoin de rassurer le marché ».
En octobre dernier, un de ses œufs éclatés, estimé 10 millions de livres sterling, est resté sur la touche chez Christie’s. L’artiste lui-même a licencié une grande partie de ses effectifs et il doit faire face à des procès pour retard de livraison d’œuvres. Même François Pinault, himself, avait lâché au Monde en 2018 : « Koons se perd dans les cocktails ». Bref, il file un mauvais coton.
Pour faire oublier tout ça et vanter les mérites du lapin, le site de Christie’s n’est pas avare en qualificatifs : «Vide, jetable, inimitable. Exubérant, festif et parfait ». L’ancien patron de Condé Nast l’avait acheté pour un million de dollars au début des années 1990. L’œuvre est aujourd’hui estimée 50 à 70 millions de dollars. S’il n’est pas acquis que Koons regagne sa couronne d’artiste vivant le plus cher –soufflée en 2018 par David Hockney avec l’enchère de 90 millions de dollars –, une chose est sûre : Christie’s a suffisamment confiance en ce lapin pour ne pas le garantir. Et pour cause : d’autres exemplaires se trouvent notamment dans la collection d’Eli Broad.