Le Quotidien de l'Art

Expositions

lille3000, un monopole économique ?

lille3000, un monopole économique ?
Parade d'ouverture de la 4è édition de Lille 3000, "Renaissance", en 2015.
© Maxime Dufour.

Inaugurée en 2004, la manifestation lilloise, dont la prochaine édition débute le 27 avril, draine un public toujours plus important, qui masque une offre en art contemporain encore très limitée.

« Tu vas à la parade d’ouverture samedi ? ». C’est LA question du moment à Lille pour les amateurs d’art (ou pas), qui comptent massivement assister au spectaculaire coup d’envoi le 4 mai (et non le 27 avril, comme initialement prévu, pour cause de vents violents, ndlr) de la 5e édition thématique de lille3000, intitulée « Eldorado ». Quatre ans après « Renaissance » (dont les retombées économiques pour la ville ont été estimées entre 65 et 110 millions d'euros), la capitale des Flandres s’attend à un nouveau raz-de-marée de visiteurs qui verront défiler l’essence de la culture mexicaine à travers ses figures populaires (Frida Kahlo, calaveras du Jour des Morts et autres catcheurs masqués), animées par quelque 3 000 participants. Le tout au son des mariachis, des harmonies et écoles de musique de la région qui ont mis leur répertoire au diapason du Mexique.

Avec cette touche latino-américaine très tendance, lille3000 s’annonce d’ores et déjà comme un succès, avec sa vingtaine d’expositions et ses habituelles œuvres monumentales dans l’espace public. Évolution notoire de la programmation cette année : l’équipe semble vouloir déconcentrer l’attention des visiteurs des lieux centraux principaux (Tripostal, Gare Saint-Sauveur ou Palais des beaux-arts) vers la périphérie par une programmation attractive, notamment dans les Maisons Folie (avec entre autres l’exposition collaborative de Julien Salaud), jusqu’aux espaces verts de la métropole, qui accueillent interventions artistiques, bals et concerts. « Avec l'intégration d’un parcours dans les jardins, notre ambition est de faire de Lille et de sa région un arrêt estival incontournable, non seulement pour les habitants de la métropole et des Hauts-de-France, mais aussi le public international, comme les Hollandais et les Belges sur la route des vacances », confie Caroline Carton, énergique coordinatrice des arts visuels à lille3000. Budget de cette édition : 11 millions d'euros, pour 65 emplois en CDD créés.

La charnière 2004

La nouvelle édition de lille3000 rappelle à quel point le label de Capitale européenne de la culture attribué en 2004 a transfiguré Lille, désormais loin des clichés qui collaient aux villes du Nord : « Avant, lorsque j’accueillais des Parisiens à la gare, je les retrouvais emmitouflés dans des manteaux en plein printemps, pensant qu'ils atterriraient en Sibérie ! », se souvient Didier Fusillier, conseiller artistique de lille3000. « Depuis, nous avons vu le regard sur Lille changer, notamment grâce aux articles de presse qui couvrent très fortement les événements de lille3000 – en 2004, le Financial Times titrait : "Lille, the place to be" ! – mais aussi par l'envie des artistes d’y produire et des architectes internationaux d’y construire », poursuit-il. Des artistes comme Justine Pluvinage, Léonie Young, David de Beyter, Grégory Buchert, Nicolas Tourte, Qubo Gas, Philémon Vanorlé ou Thierry Verbeke, qui exposent dans tout l’Hexagone et au-delà, ont depuis longtemps choisi Lille et sa métropole comme lieux de vie. Côté équipements culturels, l’année 2004 a fait naître un certain nombre de lieux pérennes : la Piscine et la Condition publique à Roubaix, le Tripostal, la Gare Saint-Sauveur ou les Maisons Folie.

Le renouveau par la culture a bien eu lieu et l’association lille3000 à la manœuvre a su capitaliser et maintenir la dynamique. La vie culturelle lilloise est ainsi ponctuée par les éditions thématiques tous les 3 ou 4 ans (« Bombaysers de Lille », « Europe XXL », « Fantastic », « Renaissance ») ou les expositions concoctées par lille3000 (les collections Saatchi et Pinault, le Centre national des arts plastiques, l’invitation à Emmanuel Perrotin ou au Centre Pompidou). Tous ces projets d’envergure ont rendu la ville plus attractive d’un point de vue médiatique et touristique, créant de manière ponctuelle des moments culturels forts. Mais quid du reste de l’année dans le domaine de l'art contemporain ? C’est là que le bât blesse…

Pointillés

Dans l’intervalle des projets estampillés lille3000, l’offre est pour le moins sporadique : « lille3000 est une très bonne chose car cela a permis de resituer Lille géographiquement en France. Mais mes collectionneurs disent souvent : "On va s'ennuyer si on vient te voir à Lille, on n’aura rien d’autre à visiter », témoigne Cédric Bacqueville, fringuant galeriste lillois. Et on ne peut pas vraiment leur donner tort. La Gare Saint-Sauveur affiche une cadence d’une exposition par an. Le Tripostal n’a pas de programmation lissée sur l’année, n’étant pas la propriété de la ville. Les Maisons Folies sont davantage tournées vers les pratiques amatrices et le jeune public. Le Frac est à Dunkerque et le centre d’art Espace croisé à Roubaix. Restent des espaces dédiés dans le Vieux-Lille comme artconnexion, petit lieu à la programmation exigeante ; ou l’Espace Le Carré, structure municipale tournée vers les artistes émergents. La question d’un musée d’art contemporain en lieu et place du Tripostal, dont la disposition et la situation géographique semblent parfaites, revient de manière récurrente dans les conversations du milieu de l’art contemporain lillois. Mais pas forcément dans les tuyaux de la ville, qui a préféré depuis 2004 concentrer sa politique culturelle et ses budgets sur les événements pop up de lille3000. Il existe à Lille comme nulle part ailleurs une forte disparité entre les structures : en 2016, quand lille3000 bénéficiait d’une subvention annuelle de la ville de 2,35 millions d'euros, artconnexion, qui soutient et produit à l’année des projets d’artistes de Lille et sa région, en recevait 7 500 ; Lasécu et la Malterie, lieux de diffusion et ateliers d’artistes, recevaient respectivement 18 000 et 75 000 euros. Un écart saisissant qui a de plus en plus de mal à passer : « Je suis venu m’installer à Lille peu après 2004, la ville jouissait d’une aura formidable, confie l’artiste belge Philémon Vanorlé. Depuis 15 ans, lille3000 pérennise son projet événementiel biennal avec le soutien indéfectible et financièrement conséquent de la ville. Aujourd’hui, je pense sincèrement que la jeune création et les associations qui la soutiennent souffrent de cette omnipotence dans le paysage culturel ».  

Depuis quelques années, en réaction aux critiques, l’équipe de lille3000 tente de rééquilibrer les choses : « Nous essayons de mettre les artistes locaux au cœur du projet, en travaillant avec la Malterie, l'Espace Le Carré ou les galeries. Nous en comptons beaucoup plus aujourd’hui qu'en 2004. Mais nous avons du mal à faire rester nos artistes à Lille, en particulier les jeunes qui partent pour Bruxelles, Paris ou Londres », constate Caroline Carton. CQFD : sans offre en art contemporain à l’année, inscrite dans le quotidien, sans un soutien fort et équitable à l’ensemble des acteurs qui maillent un territoire, il semble difficile de convaincre d’un horizon porteur pour les artistes, jeunes ou confirmés. Lille a les artistes, les équipements, l’aura, acquise en grande partie grâce à lille3000, il ne lui manque pas grand-chose pour être réellement the place to be.
 

Betsabeé Romero, Stalagmitas y estalagtitas urbanas, 2014, pneus recyclés, impression avec encre dorée, installation in situ.

Présenté à l'exposition US-Mexico Border, à la Maison Folie Wazemmes, Lille.
Betsabeé Romero, Stalagmitas y estalagtitas urbanas, 2014, pneus recyclés, impression avec encre dorée, installation in situ.


Présenté à l'exposition US-Mexico Border, à la Maison Folie Wazemmes, Lille.
© Betsabée Romero.

Adel Abdessemed, Hope 2011-2012, installation, bateau de sauvetage en bois, résine moulée, 205,7 x 579,1 x 243,8 cm.

Présenté à l'exposition Eldorama, au Tripostal, Lille.
Adel Abdessemed, Hope 2011-2012, installation, bateau de sauvetage en bois, résine moulée, 205,7 x 579,1 x 243,8 cm.


Présenté à l'exposition Eldorama, au Tripostal, Lille.
© Adel Abdessemed/© ADAGP, Paris 2018.

Jules de Balincourt, Merging Island, 2017, huile sur panneau, 203,2 x 228,6 cm.

Présenté à l'exposition Eldorama, au Tripostal, Lille.
Jules de Balincourt, Merging Island, 2017, huile sur panneau, 203,2 x 228,6 cm.


Présenté à l'exposition Eldorama, au Tripostal, Lille.
Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, London, Paris, Salzburg/© Jules de Balincourt/Photo Jason Mandella.

Naomi Fisher, CONCRETE FLOWERS, Forming and reforming artificial environments, 2019.

Présenté à l'exposition La Déesse verte, à la Gare Saint Sauveur, Lille.
Naomi Fisher, CONCRETE FLOWERS, Forming and reforming artificial environments, 2019.


Présenté à l'exposition La Déesse verte, à la Gare Saint Sauveur, Lille.
© Naomie Fisher.

Tambours de la Muerte.

Présenté lors des parades et bals ELDORADO.
Tambours de la Muerte.


Présenté lors des parades et bals ELDORADO.
© Licence CC by-nc lefourneau.com.

Thukral and Tagra, Match fixed, 2010.

Présenté à l'exposition Eldorama, au Tripostal, Lille.
Thukral and Tagra, Match fixed, 2010.


Présenté à l'exposition Eldorama, au Tripostal, Lille.
© Thukral and Tagra Studio.

Didier Fusillier.
Didier Fusillier.
© M. Astar/SIPA.
DR.

Article issu de l'édition N°1711