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À Bruxelles, une dynamique d’« expats » alimente l'énergie artistique

À Bruxelles, une dynamique d’« expats » alimente l'énergie artistique
Vue de l'exposition "L'ÂGE DE RAISON", 2019, C L E A R I N G, Bruxelles.
© Eden Krsmanovic/Courtesy les artistes et CLEARING New York, Bruxelles.

« Brussels is the new Berlin », titrait naguère le New York Times. S’il est vrai que l’on y retrouve un peu l’énergie qui s’est déployée dans la capitale allemande après la réunification du pays, la comparaison s’arrête là. C’est un fait, Bruxelles constitue aujourd’hui une excellente alternative à des villes comme Londres ou Paris. S’y développe une scène artistique qui permet à de nouvelles générations d’exister et d’émerger. C’est d’ailleurs en Belgique que Laure Prouvost, qui représente cette année la France à la Biennale de Venise, a choisi de vivre. Le pays possède, en effet, une longue tradition d’accueil et d’ouverture. Sa situation géographique l’a, depuis belle lurette, positionné comme point de chute idéal pour de nombreux créateurs et artistes en quête d’un asile profitable. Ces « expats » contribuent à créer les conditions d’un allant artistique original, dont l’image de Bruxelles est la grande bénéficiaire.

Il y a déjà plus de vingt ans, une première vague de galeries françaises prenait le Thalys pour venir humer le terreau fertile de l’art contemporain belge, parmi lesquelles la galerie Bernier/Eliades, partie en 2002 et revenue en 2016. Vite disparues, ces enseignes ont depuis été remplacées par des consœurs plus internationales, dont la présence dans la capitale belge a tendance à s’intensifier. Si Barbara Gladstone et Almine Rech, installées respectivement en 2008 et 2009, se bornent désormais à faire de la figuration, d’autres se montrent plus présentes et dynamiques, étant parvenues à nouer des liens étroits avec les institutions belges et des collectionneurs de tout le pays. Dernière venue, la Libanaise Alice Mogabgab ouvrait, en janvier dernier, un espace dans la galerie Rivoli : « La scène artistique belge me fascine. Elle foisonne de talents venus du monde entier. Des collectionneurs, héritiers d’une longue tradition, y entretiennent un regard à la fois exigeant et indépendant, tandis que s’y exerce encore une vraie critique d’art. Il me fallait développer mon enseigne à l’international et seule la Belgique, territoire de création et de liberté, correspondait à mes attentes ».

Centre de gravité abordable

Le Français Olivier Babin, fondateur de la galerie new-yorkaise CLEARING, a choisi d’installer une antenne dans la ville en 2012, investissant un espace énorme à proximité du WIELS, dans un ancien quartier industriel proche de la gare du Midi. « Nous avons peut-être choisi Bruxelles pour les mêmes raisons que la Commission européenne et l'OTAN, dit-il. Outre son riche tissu politique et culturel, la ville est stratégiquement et géographiquement située au centre de gravité de l’Europe, ce qui permet une relation dynamique avec les pays voisins. Je pense que la ville profiterait certainement de l’ouverture d'une prestigieuse école d'art internationale lui permettant de rivaliser avec Amsterdam, Cologne et Londres. Par ailleurs, j'espère que Bruxelles pourra surmonter sa situation institutionnelle compliquée. À l'heure actuelle, il n'y a qu'une seule grande institution dédiée à l’art contemporain, le WIELS, mais il ne constitue pas de collection. Il y a certainement de la place pour plus. »

D’autres galeristes, comme Alice Mogabgab, regrettent également ce déficit institutionnel. Pourtant, cet avis n’est guère partagé par la majorité des acteurs de souche, tant le projet de musée dans le futur garage Citroën leur semble illusoire. Prévu au plus tôt pour 2023, il nécessite une enveloppe budgétaire de plus de 200 millions d’euros, que devra assumer presque seule une région bruxelloise financièrement exsangue. Heureusement, Art Brussels veille. Hélène Duménil, fondatrice de la plateforme de promotion indépendante Ballon Rouge Collective (B.R.C.), initiée à Istanbul et qui participe à la foire pour la première fois cette année dans la section « Invited », souligne la grande ouverture de la ville à la nouveauté, sa physionomie constamment mouvante et l’image d’Art Brussels dont « la nouvelle section témoigne de la capacité qu’a cette ville à s’ouvrir à la nouveauté et à développer de nouvelles façons d’appréhender l’art ». Stefan Pollak, directeur de l’antenne bruxelloise de l’enseigne italienne Montoro12, confirme : « Art Brussels fait désormais partie des rendez-vous annuels incontournables. »

Artistes tous azimuts

Il n’y a pas que les galeries qui trouvent un terreau fertile à Bruxelles. De nombreux artistes, attirés par des loyers encore modestes et la possibilité d’investir de grands espaces d’atelier, les ont précédés. Comme le souligne Alice Mogabgab, « ce qui frappe à Bruxelles, c’est l’intérêt grandissant pour les jeunes artistes, tant de la part des marchands que des institutions et des collectionneurs ». Carolyn Drake Kandiyoti, directrice de l’antenne bruxelloise de l’enseigne brésilienne Mendes Wood DM, abonde : « Plus que dans les capitales avoisinantes, Bruxelles est un lieu où l'art est à la fois créé et acheté, une ville où artistes et collectionneurs se côtoient au quotidien ». Certains, comme le jeune plasticien irakien Bilal Bahir (né en 1988), aujourd’hui installé près de Namur, l’ont bien compris. L’artiste a quitté Bagdad et les horreurs de la guerre pour Bruxelles où, même s’il ne s’y est pas directement intégré, il commence peu à peu à se faire un nom. Son travail, qui puise aux sources de la modernité comme à celles de ses racines mésopotamiennes, figure déjà dans les collections de la Banque nationale de Belgique et il participera, à la fin du mois d’avril, à une exposition de groupe aux Musées royaux d’Art et d’Histoire. Un pas que l’artiste iranien Shahpour Pouyan (né en 1979), entré il y a quelques années dans l’écurie de la galerie Nathalie Obadia, devrait également franchir ce mois-ci. « Shahpour souhaitait quitter les États-Unis et New York, où la situation est difficile pour les ressortissants de son pays, explique la galeriste. Constance Dumas, qui dirige notre antenne à Bruxelles, s’est chargée de lui trouver une résidence à la Villa Empain, siège bruxellois de la Fondation Boghossian qui favorise les échanges entre les cultures d’Orient et d’Occident. Je suis sûre qu’à court terme, il s’installera dans cette ville qui offre aujourd’hui d’énormes possibilités aux jeunes artistes de tous horizons. »

Bienveillante convivialité

Originaire de Boston, l’artiste pluridisciplinaire et curateur américano-portugais Will Kerr, proche du collectionneur Frédéric de Goldschmidt, s’est installé à Bruxelles pour les mêmes raisons. Il y a cofondé avec Liv Vaisberg, initiatrice du salon Collectible, la foire A Performance Affair, plateforme innovante dédiée à l'art de la performance, qui faisait ses débuts en septembre 2018, dans l'espace Vanderborght, lieu qui accueille chaque automne la foire américaine Independent : « De nature surréaliste, Bruxelles est à la fois centrale et invisible. Cette combinaison en fait un lieu où tout est possible. J'ai déménagé à Bruxelles parce que je sentais que je pouvais y grandir en tant qu'artiste, tout en y étant mis au défi par une scène artistique très dynamique, rigoureuse et de grande qualité. À mon sens, on est ici en plein zeitgeist. Un moment-clé de l’histoire de l’art s’y déroule sous nos yeux. Poussée par les galeries marchandes et les espaces d'art expérimental, complétée par ses institutions, la scène artistique bruxelloise est très généreuse dans son offre. »

Mais, pour Will Kerr comme pour bien d’autres artistes expatriés, la richesse première de Bruxelles, c’est aussi sa convivialité : « Les gens, ici, travaillent dur et s'entraident, désirant s'engager et partager des idées. La culture artistique bruxelloise est particulière car elle résulte d'un échange très dynamique de pratiques créatives et d'une vaste pollinisation croisée d'idées entre artistes, conservateurs, marchands et collectionneurs. Je ne connais aucune autre ville où toutes ces personnes différentes se rassemblent de manière simple et cohérente, lors d’ouvertures, de dîners et de fêtes privées, afin d’échanger, de débattre et de critiquer, avec une véritable bienveillance pour la création de chacun. »

Studio de Will Kerr.
Alice Mogabgab.
Alice Mogabgab.
© BAFF 2018.
La galerie C L E A R I N G, à Bruxelles.
La galerie C L E A R I N G, à Bruxelles.
© Eden Krsmanovic.
A Performance Affair, The Panopticon Edition, septembre 2018 à Brussels Gallery Weekend Vanderborght Building, Bruxelles.
A Performance Affair, The Panopticon Edition, septembre 2018 à Brussels Gallery Weekend Vanderborght Building, Bruxelles.
© APA/Jeroen Verrecht.
Le centre d'art Wiels, à Bruxelles.
Le centre d'art Wiels, à Bruxelles.
© Alexandra Bertels.

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