soit dit en passant
« Gabegie le magnifique », la formule, savoureuse, est de l’artiste Olivier Blanckart, atterré par la dernière prestation de JR, imaginée pour le 30e anniversaire de la pyramide du Louvre, un grand collage sur le sol de la Cour Napoléon, parti en lambeaux en quelques heures à peine. De fait, le plus beau musée du monde, s’il souhaitait détourner le grand public de l’art contemporain, ne s’y prendrait pas autrement… Qu’une œuvre éphémère se dégrade en trois heures ou en deux jours, c’est ballot pour les badauds aguichés par les photos diffusées par le compte Instagram de JR à partir d’un point de vue inaccessible. C’est moyen aussi pour les mécènes qui ont financé l’œuvre, dont bizarrement le Louvre tait les noms. Dans le genre éphémère, Christo avait fait tellement mieux en emballant le Pont-Neuf en 1985 et c’est une très belle nouvelle que de le voir revenir à Paris en 2020 avec un empaquetage de l’Arc de Triomphe entièrement autofinancé, sans obole du public ou du privé.
Le problème de cette histoire est toutefois ailleurs, dans le manque terrifiant d’imagination et de curiosité des institutions publiques. JR est depuis cinq ans un abonné des musées français : 2014 au Panthéon, 2016, déjà, au Louvre, 2018 à la Maison européenne de la Photographie. En avril 2015, une enquête de The Art Newspaper rappelait qu’un tiers des expositions monographiques organisées par les musées américains revenaient à des artistes représentés par cinq galeries seulement – les plus puissantes financièrement, cela s’entend. Une uniformité qui se ressent à tous les niveaux, jusque dans la composition des jurys des prix d’art contemporain (lire page 12).
À quoi attribuer le panurgisme des institutions ? À la paresse, indéniablement. Au besoin d’argent probablement, ou dans le cas du Louvre, à la quête d’une nouvelle image, plus cool, moins élitaire. En cela, JR coche toutes les cases. Il est populaire – 1,3 million d’abonnés sur Instagram –, il draine les foules – 70 000 visiteurs à la MEP contre une moyenne de 30 000 pour d’autres expositions du musée. Il ne risque pas de faire jaser comme le plug géant de Paul McCarthy. C’est un illusionniste aux images inoffensives, spectaculaires et au message simple(iste), qui consiste à starifier les anonymes ou les déclassés. Et il a un autre atout dans sa manche, ses réseaux, qui lui permettent de trouver des mécènes et plus encore, des bénévoles – pas moins de 400 cette fois-ci. Une opération d’éducation artistique et culturelle ne parviendrait pas à réquisitionner autant de gracieuses petites mains…