Le Quotidien de l'Art

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Bomber le torse

Bomber le torse
Couverture de l'Hebdo du 8 mars 2019 par Séverin Millet
Séverin Millet

On pourrait ne regarder que le verre à moitié vide. Déprimer, fulminer, enrager. Ressortir les chiffres glaçants : sur les 100 plus grands établissements culturels en France, neuf sur dix sont dirigés par des hommes ; 87 % des œuvres présentées dans les collections permanentes de 18 grands musées américains ont été réalisées par des hommes ; 17 % seulement des membres de la Sacem sont des femmes. On pourrait dérouler ce bréviaire à l’infini et il ne resterait plus que nos yeux pour pleurer.

Mais en ce 8 mars célébrant la Journée internationale des droits des femmes, on préfère bomber le torse et pointer les avancées. La Tate, l’un des plus prestigieux musée au monde, est dirigée par une femme. Les musées d’Orsay et de l’Orangerie, l’Institut Giacometti, le domaine de Versailles et le Palais Galliera aussi. Le Zeitz MOCAA à Cape Town vient de recruter la merveilleuse Koyo Kouoh. Et quelques femmes comptent parmi les personnalités les plus influentes et courtisées du monde de l'art : Suzanne Pagé et Caroline Bourgeois, qui susurrent à l’oreille respectivement de Bernard Arnault et François Pinault, les collectionneuses Miuccia Prada et Maja Hoffmann, Thelma Golden, directrice du Studio Museum in Harlem, Jennifer Flay, directrice de la Fiac... La liste est plus longue qu’on ne le pense.

Pour faire bouger la cause des femmes artistes, plus de 280 institutions dans le monde ont aussi adhéré depuis 2016 à la campagne de parité lancée par le National Museum of Women in the Arts de Washington, avec la promesse de programmer « féminin ». Ça ne mange pas de pain – les femmes talentueuses sont légion – et ça fait plaisir. Et puis pour la communication post #MeToo, ce n’est pas non plus mauvais. La Tate vient d’annoncer cinq expositions d’artistes femmes, notamment de Paula Rego et de Lynette Yiadom-Boakye, pour 2020-2021. Le Jewish Museum de New York organise son deuxième « edit-a-thon » pour améliorer la représentation des femmes artistes sur Wikipédia. La Galerie des Offices à Florence compte les valoriser sur ses réseaux sociaux. Les foires, comme Paris Photo en novembre dernier et Art Paris Art Fair en avril, se sont aussi mises à l’heure de la discrimination positive.

L’intention est bonne, indéniablement. Mais en valorisant, on polarise aussi. On différencie, pour mieux éviter de mêler. On parle quota, mais on élude la question qui fâche, celle de l’inégalité des cachets et des salaires – 18 % en moyenne dans le milieu culturel français. La seule qui vaille une fois passés les progrès symboliques.

Article issu de l'édition N°1677