Devant cet immeuble parisien de la rue Sainte-Anne, on a du mal à reconnaître le Louvre. Pourtant, c’est bien là que sont regroupés ses services administratifs depuis 2014, à cinq minutes à pied du musée. Environ 275 agents y travaillent, sur les 2300 que compte l’établissement. Des espaces fonctionnels ressemblant à tous les bureaux modernes. Pourquoi le plus grand musée du monde ne les accueille-t-il pas ? « Quand a été conçu le programme Grand Louvre, on a tout simplement oublié les espaces de services », révélait en 2009 son administrateur général, lors d’une audition à l’Assemblée nationale. D’où la présence pendant 15 ans de préfabriqués dans le jardin du Carrousel et d’autres dans les fossés du Louvre. On dispersa ensuite les personnels à proximité, entre deux immeubles loués et un affecté par l’État, qui abrite toujours les directions techniques. Restent au palais la présidence et les conservateurs. Il n'y a plus qu'un seul site en location : ainsi le Louvre a-t-il réduit ses charges locatives de 22 %, économisant 10,6 millions d’euros sur les 12 ans du bail. « Rendre l’organisation spatiale de l’établissement lisible et intelligible », tel fut aussi le but d’un remaniement qui impacta la vie de 500 agents, explique Matthieu Detrez-Jacquin, directeur des ressources humaines du Louvre. « Ça s’est fait dans la douleur », se souvient une employée logée alors à rez-de-sol du palais historique, un inconfort qu’elle ne regrette plus rue Sainte-Anne. Organiser des réunions inter-services se révèle aussi plus pratique. Ce que confirme le DRH : « Cela crée une aisance de travail très agréable ». Tous les agents du Louvre continuent de se croiser à la cantine du musée ou à l’occasion de visites privées d’expositions. « Pour la cohésion, c’est très important », ajoute-t-il.
C'est moins le cas au Centre Pompidou qui, lors de sa rénovation en 2000, a dispersé ses bureaux dans quatre immeubles du quartier abritant 520 de ses 1000 agents. Une acquisition et trois locations au coût annuel top secret. Non sans effet sur le moral des troupes. Dans une enquête interne de 2014 sur les risques psycho-sociaux dans l’établissement, on peut lire : « Certains agents soulignent l’inconvénient qu’il y a à avoir un éclatement des équipes du Centre sur des sites satellites qui, bien que proches, n’en sont pas moins séparés ». De même, l’absence de cantine, auquel un self-service auparavant suppléait, est pointée du doigt, « pour cette même raison que cela limite les rencontres, les échanges informels et les interconnaissances ». Agnès Benayer, directrice de la communication, mentionne cependant l’existence de « lieux de convivialité » sur chaque site et la tenue régulière de « moments collectifs rassemblant l’ensemble des agents du Centre, tous bâtiments confondus ».
Attachement physique
La délocalisation des espaces tertiaires des musées n’est pas l’apanage des institutions parisiennes. Bruno Girveau, directeur du Palais des Beaux-Arts de Lille qui emploie 170 personnes, y voit même un « enjeu managérial ». En 1997, le monument a fait l’objet d’une réhabilitation et ses bureaux ont été transférés dans un immeuble de verre construit à l’arrière. « Cela sépare les équipes administratives des agents d'accueil et de surveillance, crée une division et coupe des publics, constate-t-il. Je m’astreins à aller tous les jours dans le Palais ». Il a observé un effet inattendu au réaménagement récent de l’atrium du musée : « Les services administratifs viennent faire des réunions dans le café. Cela recrée du lien, c'est plus convivial ». L’attachement physique au musée passe aussi par le regard. Une attachée de conservation évoque l'importance du « lien visuel » avec l’édifice depuis son bureau.
Thierry Gausseron, administrateur général du château de Versailles, ne la démentira pas. Quand en 2015, l’emménagement au Grand Commun de 350 sur 1100 agents s’acheva, il fit installer une webcam donnant sur la cour du château, reliée à l’intranet de l’établissement. « Il ne faut pas qu’on oublie notre cœur de métier, qui est d’éviter que le château brûle et d’accueillir les visiteurs ! », s’exclame-t-il. Des services dispersés aux quatre coins du domaine furent ainsi réunis, alliant assez idéalement fonctionnalité et historicité puisque le bâtiment, sous l’Ancien Régime, servait de dépendance au personnel du palais. Une superbe restructuration à plus de 80 millions d’euros : un coût dû à la dégradation de ce monument classé, l’installation en sous-sol du pôle énergétique du domaine et une plateforme élévatrice géante desservant la réserve d’œuvres... Il s’y cache un autre secret, une galerie souterraine futuriste qu’empruntent les agents pour rejoindre le château, certains préférant traverser la rue.