Le Quotidien de l'Art

L’histoire globale des revues culturelles, sismographe des émancipations

L’histoire globale des revues culturelles, sismographe des émancipations
Black Orpheus, 1957-1961.
D.R.

Chaque mois, l'Hebdo ouvre désormais ses colonnes à l'actualité de la recherche en histoire de l'art, en conviant un ou une chargé.e d'études de l'Institut national d'histoire de l'art à présenter le programme d'une de ses conseillères scientifiques. Cette semaine, Ariane Temkine aborde les enjeux du programme « Sismographie des luttes – Vers une histoire globale des revues critiques et culturelles », au sein du domaine « Histoire de l'art mondialisée », dirigé à l'INHA par Zahia Rahmani.

Un sismographe est un instrument de mesure destiné à capter les mouvements du sol engendrés par les ondes sismiques. Le sismomètre répercute sur un sismogramme le pouls de la terre pour prévenir les catastrophes. Un sismographe écoute ce qui est à venir, prévient, sans empêcher. Si les luttes pour l’émancipation, qui soulèvent à partir de la fin du XVIIIe siècle les populations des espaces insulaires des Caraïbes et plus tard des océans Indien et Pacifique, mais aussi d’Afrique, d’Amérique et d’Asie, s’apparentent à des ondes sismiques, l’espace des revues s’offre comme leur sismographe. Les pages des revues sont le lieu, davantage que le support, d’une élaboration politique et plastique, un site contestataire pour allier, traduire et diffuser des pensées de la résistance, de la révolte, et de la survie. L’Abeille haytienne, Amauta, Savacou, Mawaqif, Te Ao Hou, Black Orpheus, Tropiques… autant de revues qui incisent les lignes des pouvoirs coloniaux et tracent des généalogies secrètes aux pensées dangereuses. Lieux de pratique de la pensée critique, de recherche de formes disruptives, elles propagent les ondes révolutionnaires des territoires colonisés jusqu’aux métropoles. De cette lecture « contre-académique » (d'après l'historienne de l'art Devika Singh) de la trajectoires des idées et des formes, des marges vers les centres, les revues constituent l’archive principale. Éphémères, mobiles, fluctuantes, elles ont souvent été négligées dans les récits orthodoxes des politiques d’émancipation car elles demeurent perçues comme des espaces de commentaires et non de véritables matrices. Objets iconiques de la culture matérielle des diasporas, les revues parlent circulation et transfert plutôt que fondation, rhizome plus que genèse. Polyphoniques et souvent polyglottes, elles sont elles-mêmes traversées par de brutales lignes de fracture et portent les contradictions des pensées vivantes.

Ouvrir l'espace académique

Le projet « Sismographie des luttes – Vers une histoire globale des revues critiques et culturelles », qui donne corps à…

L’histoire globale des revues culturelles, sismographe des émancipations
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Article issu de l'édition N°1647