Le Quotidien de l'Art

Art et intellectuels, un mariage en théorie

Art et intellectuels, un mariage en théorie
L’artiste Otobong Nkanga avec des
étudiants en épigénétique lors de
l’événement « Nous ne sommes pas le
nombre que nous croyons être » en
février 2018 à la Cité internationale des
Arts à Paris. © Mathilde Assier/fondation Daniel et Nina Carasso.

Il n’a jamais autant été de bon ton pour les artistes ou commissaires d’exposition de convoquer les idées de penseurs plus ou moins contemporains. Comment l’écriture théorique a-t-elle infusé les circuits artistiques ? Inversement, par quel biais une élite intellectuelle, souvent issue de l’université, s’est-elle frayée un chemin dans un monde réputé difficile d’accès ? Enquête.

«Les objets ont été choisis dans tous les domaines de la collection, dans toutes les parties du monde et quelle que soit leur époque de réalisation. Ici, “le gai savoir” – une idée que nous avons reprise de l’ouvrage de Friedrich Nietzsche – fut à la fois notre devise et notre méthode », peut-on lire sur les murs des collections permanentes du Museum für Angewandte Kunst de Francfort. Cherchant à se détacher d’une muséographie de period room datant du XIXe siècle, c’est en convoquant Nietzsche que ce musée des arts décoratifs justifiait, en 2013, ses récents choix d’accrochage. La même année, en France, la fondation Maeght donnait carte blanche à Bernard-Henri Lévy pour penser visuellement les rapports « millénaires » entre art et philosophie.

Loin d’être neuf, l’appel à ceux que l’on pourrait ranger sous le terme générique d’« intellectuels » (historiens, philosophes, physiciens, mathématiciens, économistes… souvent issus, en France, de l’université et de l’École normale supérieure) pour réaliser le commissariat d’expositions est un phénomène régulier depuis une trentaine d’années. En 1985, Jean-François Lyotard, philosophe et auteur de l’ouvrage Condition postmoderne. Rapport sur le savoir (1979), signait avec Thierry Chaput au Centre Pompidou l’exposition « Les Immatériaux », qui interrogeait la complexité du monde moderne, engendrant un « sentiment que la réalité, quelle qu’elle soit, est plus impalpable, qu’elle n’a jamais été immédiatement maîtrisable », lisait-on dans le communiqué de presse. Propagateur de la notion de « postmodernisme », l’intellectuel disposait de quelques mètres carrés pour développer, concrètement et visuellement, sa pensée théorique. Prudent sur le sujet, le professeur de littérature Philippe Mangeot, invité en 2018 par le Centre Pompidou à prendre part au programme de réflexion « Paroles contemporaines », avance : « Beaucoup de grands intellectuels du XXe siècle ont travaillé sur l’art. Il y a une sorte de fascination dans la possibilité de produire du sens en dehors du circuit du logos ». Dans quelle mesure les institutions artistiques elles-mêmes ont-elles institué ces discours ? Ceux-ci ont-ils trouvé progressivement leur place dans le champ de l’art et des institutions ?

Les musées, espaces de réception d’idées

Plus récemment, en 2011, Paul B. Preciado curatait le festival « La internacional cuir. Transfeminism, sexual micropolitics and guerrilla video », organisé par le musée Reina Sofia de Madrid, plaçant au cœur du musée un domaine théorique qui y était jusqu’alors peu présent : les études de genre. Le philosophe transgenre n’en était cependant pas à son galop d’essai. Dans le courant des années 2000, il a réalisé le commissariat de plusieurs expositions telles que « La Passion selon Carol Rama » (2015) au musée d’Art moderne de la Ville de Paris ou encore « Postporn Marathon » au MACBA de Barcelone. Si l’intellectuel travaille dans le contexte muséal depuis plus d’une dizaine d’années, il écrivait en 2013 sur le blog du Jeu de Paume que sa « relation avec le format…

Art et intellectuels, un mariage en théorie
Art et intellectuels, un mariage en théorie

Les abonnés ont accès à l'intégralité des articles du Quotidien de l'Art.

Découvrez toutes nos offres d'abonnements.

Je m'abonne

À lire aussi


Braquage au musée Cognacq-Jay
Article abonné

Retour à l'île
Article abonné

Les musées au défi de la décroissance
Article abonné

Article issu de l'édition N°1622