Sa silhouette était trompeuse. Sous ses allures de moine soldat, avec sa parole précise, ses gestes posés, ses vestes de menuisier, Paul Virilio dissimulait une agilité d’esprit sans pareil. Philosophe de la vitesse, il avait débuté sa carrière comme maître verrier et, de cet apprentissage manuel, avait conservé un sens du réel qui le maintenait en phase avec le monde et son possible anéantissement. C’est avec l’architecte Claude Parent qu’il avait fondé le groupe Architecture Principe, manifeste pour un monde oblique, ce dernier terme qualifiant à merveille sa pensée. De la vitesse, il était passé aux tragédies, militant pour l’édification d’un musée des catastrophes. Il résumait le pouvoir dévoreur de la technique de cette formule : « Un avion de vingt places qui s’écrase fait vingt morts, un de huit cents en fera huit cents ». Né en 1932, il avait vécu le bombardement de Nantes et ses traumatismes. Les trois bombes du XXe siècle – démographique, atomique, informatique – ne lui laissaient aucun repos. On a pu le juger pessimiste. Il l’était. Il avait signé à la Fondation Cartier plusieurs expositions magnifiques sur l’accélération et le pouvoir démesuré des datas (« La Vitesse » en 1991, « Ce qui arrive » en 2002, « Terre natale, Ailleurs commence ici » avec Raymond Depardon en 2008). Il se méfiait de la démocratie des émotions. Nous ne pouvons cacher la nôtre à sa disparition.
La plupart de ses livres sont publiés aux éditions Galilée.