En avril dernier, invité par la galeriste Aline Vidal à participer à son projet « De(s)rives » sur l’île Saint-Louis, Honoré d’O se prêtait à un curieux exercice. Au square Barye, l’artiste invitait les passants à s’asseoir à ses côtés et à lui chuchoter un secret face à la Seine. À quelques encablures, sur l’île de la Cité cette fois, un autre artiste, Stéphane Thidet, s’est mis en tête de détourner l’eau de la Seine. Le 1er juin, le monde de l’art aura les yeux braqués sur une autre île, celle de Porquerolles, où sera inaugurée la Fondation Carmignac dans une villa ayant appartenu à l’architecte Henri Vidal, père d’Aline Vidal… Il n’y a pas de hasard.
L’île fascine depuis longtemps le monde de l’art. Conservatoire de la faune et de la flore, mais aussi des usages sociétaux, des mythes et des rites, elle offre un motif paradoxal, qui apparaît comme la fin ultime dans L’Île des morts, série de cinq tableaux peints entre 1880 et 1886 par Arnold Böcklin, ou comme la promesse de plaisirs pour les libertins de L’Embarquement pour Cythère d’Antoine Watteau. Ambivalente, l’île est tantôt crainte (L’Île du docteur Moreau, où un scientifique fou se livre à des expérimentations génétiques), tantôt désirée (la mythique île engloutie de l’Atlantide, supposée idyllique). « Rêver des îles, avec angoisse ou joie peu importe, c’est rêver qu’on se sépare, qu’on est déjà séparé, loin des continents, qu’on est seul et perdu – ou bien c’est rêver qu’on repart à zéro, qu’on recrée, qu’on recommence », écrivait le philosophe Gilles Deleuze dans Causes et raisons des îles désertes. Le duo David Brognon et Stéphanie Rollin y voit lui une forme d’enfermement. « Ces lieux nous obsèdent, admet le duo. L’île en italien se dit “isola”. C’est plus direct. L’acte d’isoler quelqu’un, de le mettre à l’écart, matériellement ou moralement. » Aussi s’est-il intéressé aux geôles flottantes telles que Gorée, carrefour du commerce triangulaire. « La circonférence de cette île mémoire de l’esclavage est de 2,4 kilomètres, il nous a fallu sept jours pour en tracer entièrement le contour, racontent-ils. Ce n’est plus un dessin, c’est un voyage, une mesure de temps, monstrueuse et laborieuse. » À l’automne prochain, les duettistes ont décidé de décalquer une autre île chargée d’histoire, celle d’Ellis Island, à New York, où étaient parqués, parfois en quarantaine, les nouveaux immigrants au tournant du 20e siècle.
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