Il y a en France un socle consensuel très solide sur la politique culturelle. Démocratiser l’accès aux œuvres de l’esprit et leur faire jouer un rôle de lien social et d’épanouissement personnel est considéré comme l’une des missions prioritaires de la République. Malgré de fortes différences de sensibilité, personne n’a dévié de ce cours, de Malraux à Mme Nyssen en passant par Lang, Duhamel, Toubon, Aillagon et beaucoup d’autres…
Méfions-nous pourtant des consensus, car celui-ci cache aujourd’hui une crise profonde qui est celle que traverse notre pays. La culture comme toujours en est le miroir grossissant. Crise d’identité née d’une perception à la fois éclatée et fragilisée de notre culture due aux pressions migratoires et à la rapidité des évolutions économiques. Crise de l’État habitué à tout régenter et qui voit le secteur privé culturel comme les collectivités décentralisées rivaliser de dynamisme et de vitalité avec des moyens souvent supérieurs aux siens. Crise générale de crispation autour de la dépense publique. Dépenser est le « purgare » universel alors que, malgré ses dépenses publiques qui sont les plus élevées d’Europe, notre pays a des résultats mauvais, voire médiocres en matière d’éducation, en particulier artistique, d’emploi, de croissance, de logement… Crise des collectivités territoriales, dont l’action culturelle est freinée par les enchevêtrements d’un mille-feuille administratif qui est le plus compliqué d’Europe.
Comment répondre à cette crise ? En établissant une priorité claire en faveur de l’Éducation artistique qui redonnerait une âme et un sens à la politique culturelle et replacerait à tous les niveaux chacun face à ses responsabilités.
À la veille du week-end national des FRAC qui mettra en évidence l’action de ce réseau, il faut rappeler que l’éducation artistique est le principal moyen de briser le plafond de verre auquel se heurtent tous les acteurs culturels depuis de nombreuses années pour élargir leurs publics. Malgré plusieurs décennies d’une politique très volontariste, il reste encore près de 66 % des Français qui n’imaginent pas entrer dans un musée ou aller voir une exposition. Atteindre les enfants dans les écoles et indirectement leurs parents peut créer sur le long terme un nouveau rapport à l’art dans toutes les couches de la société française. Que le ministère de la Culture et celui de l’Éducation nationale, en concertation avec les collectivités territoriales, n’aient pas réussi ensemble depuis 50 ans à mettre en place cette éducation qui est pourtant au cœur de la mission de démocratisation culturelle, est une forme de scandale. C’est le grand défi d’aujourd’hui et il semble que Mme Nyssen soit décidée à le relever.
Comment réussir là où l’on a échoué tant de fois ?
- D’abord en affichant clairement que pour tous les acteurs culturels, en particulier ceux des arts plastiques, il s’agit d’une priorité nationale au cœur de leur mission de service public. Nul besoin de chercher midi à quatorze heures avec des inventions nouvelles ou des idées éphémères de communication !
- Ensuite, en créant un mouvement collectif de tous ceux qui, avec l’Éducation nationale, ont des compétences pour intervenir dans ce domaine, qu’ils soient publics ou privés : musées, centres d’Art, FRAC, associations reconnues… Il faut inventer une nouvelle forme de décentralisation « à la française » en laissant à chaque région le choix des partenaires et des moyens. Il suffit d’afficher que ceux qui agiront davantage dans ce domaine avec l’Éducation nationale recevront des aides supérieures aux autres. Cela donnera aussitôt de la cohérence à tant d’efforts aujourd’hui dispersés. Si dans les deux ans à venir, ces acteurs réussissaient au sein d’une grande « Alliance pour l’éducation artistique », en utilisant de façon intensive les nouvelles technologies, à définir une méthode et des outils afin qu’il y ait enfin une vraie éducation artistique dans les écoles françaises, un pas gigantesque serait fait.
Quelle chance pour l’Éducation nationale de nouer dans chaque région des coopérations avec des partenaires très divers ! Quelle opportunité pour tant d’institutions d’élargir leurs publics !
Les FRAC veulent être à l’avant-garde d’un tel projet car ils ont, depuis toujours, agi de façon exemplaire sur tous les territoires vers des publics nouveaux. Ils pourraient créer dans chaque région des « modules » d’éducation artistique et les transmettre au corps professoral qui les diffuserait dans leurs établissements. Des enseignants détachés de façon plus permanente qu’aujourd’hui assureraient le lien entre les réseaux.
- Enfin, il faut engager une réflexion sur le contenu de cette éducation. Faire aimer l’art, c’est à coup sûr viser les sentiments et souvent attirer par une forme d’amusement ou de distraction. Mais c’est aussi rester fidèle à l’exigence intellectuelle française qui « nomme » et « situe » dans une Histoire et une civilisation. Associer les créateurs à l’éducation artistique et leur donner de manière exemplaire la place qui doit être la leur dans la société française est sans doute la manière la plus pédagogique de le faire. Là encore l’expérience des FRAC est riche d’enseignement.
Affirmer le rôle central de l’éducation artistique, c’est recentrer le ministère de la Culture sur le cœur du service public. C’est offrir toutes sorte de partenariats aux acteurs de la politique culturelle, en particulier du secteur privé, qui prendront cette direction. La France a besoin de ce nouvel élan et les FRAC sont mobilisés pour l’accompagner.