Dans son propos d’introduction aux débats organisés pendant le salon Art-O-Rama, le critique d’art Cédric Aurelle (collaborateur du Quotidien de l’Art) a trouvé la formule pour qualifier le contexte : en anglais, Marseilles se lit au pluriel, à l’image d’une ville mosaïque, irréductible à une seule image clichée. Positionnée aux avant-postes des questions de décolonisation, de par son histoire et sa sociologie, Marseille assume de plus en plus un rôle central pour réfléchir aux nouvelles formes de décentralisation, dont la complexité est le résultat de migrations, de transidentités culturelles et du rôle central d’Internet dans un dialogue Sud-Sud, hors du traditionnel schéma centre-périphérie. L’arrivée de Nicolas Bourriaud à la Panacée à Montpellier et la programmation de Sandra Patron au MRAC de Sérignan (en attendant de connaître la prochaine direction du CRAC de Sète) annoncent clairement le désir de créer un pôle Sud pour l’art contemporain. De Marseille, considérée comme la deuxième métropole française en nombre d’artistes et dynamisme associatif, il a souvent été reconnu son immense potentiel à devenir une scène artistique à part entière. Et puisqu’il n’est plus question de centre, c’est du Sud comme un ensemble qu’il faudrait parler, faisant écho à la manière dont les villes de Mexico ou Los Angeles se sont affirmées artistiquement ces dernières années.
De façon surprenante, alors que seule une poignée de galeries françaises hors de Paris sont présentes dans les principales foires internationales, Marseille a su intégrer le calendrier du marché de l’art. Dirigée avec talent et passion par Jérôme Pantalacci, accompagné par Nadia Fatnassi, Art-O-Rama est devenue le rendez-vous incontournable de la rentrée pour l’art contemporain et affirme sereinement sa place à l’échelle internationale. Pour preuve, à côté de galeries parisiennes très prospectives (Allen, Antoine Levi, Édouard Montassut, Gaudel de Stampa, Joseph Tang et Marcelle Alix), le salon réunit cette année un contingent d’enseignes berlinoises incontournables (Daniel Marzona, Exile, Klemm’s, Neumeister Bar-Am et Chertlüdde), ainsi que d’autres venues de Lisbonne (Madragoa), Los Angeles (Ltd Los Angeles et Ghebaly Gallery) ou Bruxelles (Meessen De Clercq), trois villes artistiques phare d’aujourd’hui, à l’image des expectatives qui entourent Marseille. Les collectionneurs de la région ont entièrement saisi l’enjeu et participent au rayonnement de l’événement, que ce soit à travers le groupe Lumière crée par Sébastien Peyret (qui décerne un prix et invite le curateur Chris Sharp à organiser une exposition) ou la collection Féraud / Fonds de dotation M-Arco (dont l’exposition dans un hangar vers l’Estaque réunit Anne Imhof, Guillaume Leblon ou Niele Toroni dans un hommage à Jean-Pierre Bertrand et François Morellet). La ville est d’ailleurs plus reconnue par la vitalité de son tissu associatif (le réseau Marseille Expos) que par le rôle de ses institutions (Mark Dion expose au FRAC PACA). Il ne faut pas rater les expositions de Céline Vaché-Olivieri chez Où, qui s’associe à Solenn Morel, directrice des Capucins, l’excellent centre d’art d’Embrun, celle proposée par Astérides / Triangle France avec les résidents actuels des Ateliers de la Ville (Amandine Guruceaga, Anne-Sophie Turion, Benjamin Valenza ou Estrid Lutz & Emile Mold) et l’inauguration d’un nouveau pôle de sept lieux d’art rue du Chevalier Roze (dans des espaces gérés par ANF Immobilier). S’y installeront de façon pérenne des antennes des galeries Crèvecœur (Paris) et Catherine Bastide (Bruxelles) mais aussi la revue Code South Way (tenue par les dynamiques curatrices Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani), l’atelier de sérigraphie Tchikebe, le studio de production de l’artiste Wilfrid Almendra (qui invite Madison Bycroft) ou l’invitation au curateur Cédric Aurelle (qui propose Julien Creuzet).
S’il y a un désir évident d’inscrire Marseille sur un circuit international, Art-O-Rama ne délaisse pas la scène artistique locale en invitant un curateur, Gaël Charbau cette année, à organiser un Show Room qui sert de tremplin à quatre artistes installés en région – François Bellabas, Alice Guittard, Eva Medin, Delphine Wibaux – et une exposition d’une vingtaine de diplômés du réseau des écoles d’art du sud. L’énergie curatoriale de la foire, rappelant Artissima (Turin) ou Paris Internationale, se confirme aussi dans l’invitation à un project space international (l’excellent Frankfurt am Main, de Berlin) et dans des tours guidés par des curateurs comme Vincent Honoré (directeur de la David Roberts Art Foundation à Londres). Il ne manque alors sur le tableau que la Fondation d’entreprise Ricard, responsable d’une exposition de Vincent Lamouroux à la Friche la Belle de Mai. Le tour est joué ! Rendez-vous en bord de mer pour une rentrée pôle Sud.
Art-O-Rama, du 25 au 27 août 2017, La Cartonnerie, La Friche la Belle de Mai, 41 rue Jobin, 13003 Marseille, http://Art-O-Rama.fr/