Si Karel Appel (1921-2006) est célèbre pour ses sculptures et ses peintures hautes en couleur, notamment sur l’univers du cirque, mais aussi pour sa participation au groupe CoBrA, il a aussi construit, feuille après feuille, une œuvre graphique largement méconnue. C’est sur cet aspect de sa carrière que se penche le Centre Pompidou, à travers une rétrospective d’environ 85 papiers prêtés par la Fondation Karel Appel, laquelle veille sur la mémoire de l’artiste originaire des Pays-Bas. « L’exposition propose un angle plus intime, plus privé, d’autant qu’il s’agit d’œuvres gardées par-devers lui », explique le commissaire de l’exposition, Jonas Storsve, responsable du cabinet d’art graphique au Centre Pompidou. Ce dernier a choisi un accrochage chronologique, qui débute en 1947 – un an avant la proclamation de CoBrA, mouvement dont Karel Appel sera l’un des fondateurs – et court jusqu’à sa disparition.
L’exposition s’inscrit dans un travail de fond effectué par le Centre Pompidou et le Cabinet d’art graphique autour des protagonistes de CoBrA, entamé avec Pierre Alechinsky, et Christian Dotremont, puis Asger Jorn.
Dans la première salle figure une redécouverte. Jonas Storsve avait remarqué dans les collections de la Fondation Appel, à des endroits différents, trois petits formats, qu’il a sélectionnés. Ce n’est qu’après, au moment de travailler sur l’accompagnement documentaire de l’exposition, que la directrice de la fondation a sorti une photographie montrant l’artiste dans son atelier de la rue Santeuil à Paris. Derrière le peintre, sur le mur, étaient accrochés deux de ces dessins, et le bout du troisième dépassait… « Leur présence au mur prouve l’importance pour l’artiste de ces œuvres qui n’étaient pas destinées à la vente », note Jonas Storsve.
Rapidement, le parcours aborde les années CoBrA, dont la brièveté (1948-1951) contraste avec l’étiquette durable qui collera de façon parfois réductrice à plusieurs de ses protagonistes, dont Appel. Aux yeux du commissaire, cette période est « belle mais pas la plus originale ». Ces années-là, une partie des motifs vient des amis étrangers au groupe CoBrA, en particulier des Danois bien plus âgés que l’artiste. Ainsi, pour certaines feuilles, « il est évident que l’artiste a regardé les masques d’Egill Jacobsen ». Un peu plus loin sont accrochés deux œuvres de 1949, qu’une vision rapide pourrait attribuer à Asger Jorn, le mentor du groupe (lire aussi dans le Quotidien de l’Art du 7 mars 2014). De la même année datent deux travaux préparatoires en couleur pour une grande peinture murale réalisée en 1949 dans l’hôtel de Ville d’Amsterdam. L’œuvre sera au cœur d’un scandale public car elle sera recouverte pendant des années par du papier, puis redécouverte quand Appel sera devenu une gloire nationale. Son thème n’est guère réjouissant : l’artiste tire son inspiration d’un voyage en Allemagne en train dans l’après-guerre, et de la vision d’enfants quémandant de la nourriture et de l’argent près des trains. Le mépris initial pour cette œuvre murale par les autorités de son pays contribuera à inciter Appel à quitter la Hollande pour la France avec Constant et Corneille.
L’un des moments forts de l’exposition porte sur les collages des années 1960, peu connus. Plus que dans ses toiles, à la destination plus commerciale, l’artiste fait ici montre d’une liberté particulière. Grâce au critique Michel Tapié et à Martha Jackson, qui le défend dans sa galerie à New York, Appel rencontre les artistes expressionnistes abstraits américains dans les années 1950. « Quand on regarde le film de Jan Vrijman qui le montre dans son atelier à Paris, en train de peindre, c’est une vraie performance », raconte Jonas Storsve. Dans les années qui précèdent et suivent 1960, l’influence américaine devient perceptible. « Il réussit à combiner l’apport de CoBrA et l’apport américain pour créer son propre style, c’est une période à mon avis sensationnelle, l’une des plus fastes et les plus excitantes de sa carrière », estime le conservateur. Trop souvent réduit à quelques pans vus et revus et trop diffusés, son corpus, ne serait-ce qu’à travers ces œuvres des années 1960 fusionnant plusieurs avant-gardes, a encore des choses à nous dire.