Bernard Blondeel, ancien galeriste parisien, préside la Commission d’admission des objets de la BRAFA Art Fair, à Bruxelles (il a aussi exercé pour TEFAF Maastricht et la biennale des Antiquaires). Avant l’ouverture de la foire (qui s'est tenue cette année du 25 janvier au 1er février), l'expert en tapisseries anciennes y orchestre le vetting (examen) des œuvres d'art, avec plus de 100 experts bénévoles internationaux (belges, français, italiens, britanniques, néerlandais, allemands, suisses, australiens, américains), répartis en 14 sections. D'année en année, observe Bernard Blondeel, les œuvres refusées se raréfient : le vetting incite à la prudence. Quelques cas lui restent en mémoire : un retable flamand, dont l’analyse des pigments et de la polychromie a permis de lever un doute ou, inversement, la polychromie d’une sculpture fortement retouchée. L'analyse peut se limiter à une réattribution : un tableau ancien lié à une école, un atelier, un suiveur. L'expert détaille le processus : « Pour les modernes et les contemporains, le certificat, comme celui du comité Magritte, est indispensable. L’avis de la commission est valide uniquement pour le salon et un appel reste possible : le chef de section explique sa décision, et la révise parfois suite aux arguments du marchand. Le temps imparti étant bref, ces expertises peuvent pâtir d’une très faible marge d’erreur. Les pièces qui ont été rejetées restent dans un dépôt pour la durée de la foire. »
Élisabeth Maréchaux Laurentin, experte au cabinet Maréchaux, intervient notamment au Salon du Dessin à Paris (du 26 au 31 mars). « Très spécialisé, comptant peu d’exposants, et parmi les meilleurs, les études y sont assez faciles », fait-elle remarquer, soulignant que « le vetting ne réalise pas d’expertises, mais des contrôles. Par exemple, on peut faire décadrer un dessin pour confirmer qu’il s’agit d’une feuille originale et pas d’une impression ». Experte auprès de la Cour d’appel de Paris, Élisabeth Maréchaux Laurentin est spécialiste de l'art du tournant du XXe siècle en France. Elle note : « À cette période, nombre d’artistes ont été entre le moderne et l'ancien. Par ailleurs, les fauves et les postimpressionnistes ont été souvent copiés. Ceci impose de croiser les avis, mais l’analyse scientifique a ses limites. Dans une affaire judiciaire, un tableau attribué à Degas présentait un sujet de danseuse, des pigments d’époque… mais n’était pas un Degas ! »
Carabinieri et tazza
Will Korner, head of fairs à la TEFAF (du 15 au 20 mars à Maastricht), pilote le vetting de la foire. À Maastricht, les 210 bénévoles (contre 120 à New York) distribués en 10 sections et 31 comités sont experts auprès des tribunaux ou indépendants, curateurs, conservateurs, restaurateurs, archéologues, ex-directeurs de départements de maisons de ventes... Auparavant, Korner a dirigé au sein d’Art Loss Register, vaste base de données mondiales d'œuvres volées, l'équipe chargée d'enquêter dans les foires. TEFAF a été la première, dès 2000, à inviter l'organisation à seconder son vetting. Celui-ci représente pour la foire un budget de 400 000 euros.
L’équipe scientifique, dirigée par Robert Van Langh, directeur du département Science et conservation au Rijksmuseum d'Amsterdam, loue ses appareils et instruments. Depuis trois ans, le numérique permet de livrer en temps réel un rapport au marchand qui, en (rare) cas de différend, prépare ses arguments. L’outil IA reste un « Google search » amélioré, qui compare des objets similaires et des ventes antérieures. « Nous encourageons les exposants à solliciter des experts extérieurs, développe Will Korner. Nous vérifions si des antiquités proviennent de zones de guerre, avec les polices hollandaises et internationales présentes. L’avis du comité, rarement noir ou blanc, déplace plutôt le curseur : on rattachera par exemple un Rembrandt douteux à l’atelier ou à l’école hollandaise du XVIIe siècle, ou on le réattribuera, après comparaison avec une toile du même peintre vue sur un autre stand. » Et la pêche est parfois miraculeuse : en 2024, le tableau de Willem Claesz. Heda présenté par la galerie Dickinson, Vanité avec römer brisé, tazza retournée et citron pelé sur une corniche (vers 1648), a pu être rapproché de ladite tazza en argent, repérée par les experts chez Endlich Antiquairs. Au total, en 2024, 700 objets sur 15 000 ont été sujets à révisions.
Au plus près
À chaque BRAFA, Re.S.Artes, laboratoire créé en 2012 à Bordeaux par Emmanuel Vartanian et Céline Roque, étudie 10 à 15 cas. Seul laboratoire européen à manier cette palette, il opère pour des collectionneurs, des antiquaires et des maisons de ventes, mais aussi des musées (Quai Branly, Fabre à Montpellier, Confluences à Lyon) et des services d'archéologie. D’emblée, Emmanuel Vartanian et Céline Roque nuancent : « Le vetting, limité dans le temps, n’authentifie pas les objets, il apporte des informations à l'expert. » Et de détailler : « Notre laboratoire mobile recourt à l'imagerie scientifique, avec la réflectographie infrarouge, qui révèle les dessins préparatoires ou les repentirs en décelant les zones de restauration, ou à l’analyse de la composition des matériaux avec l’outil LIBS de spectrométrie par laser, détectant des éléments modernes ou incompatibles avec une ancienneté présumée. Sur les métaux, le LIBS passe outre l’interférence d’une couche de corrosion. Sur une peinture, l’analyse descend au plus près de la couche de préparation. C’est un outil de profondeur, très complexe, qui sert aux industriels pour un contrôle non disruptif, donc adapté aux œuvres d’art, qu’il faut analyser en étant le moins invasif possible. » En revanche la datation au carbone 14, qui permet par exemple de discerner le mobilier 1930 des copies, fréquentes dans les années 1960, ou des faux des années 1990, ne peut s’effectuer dans le cadre d’un vetting, par nature très bref.

Photo : Tanguy de Montesson.

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© Loraine Bodewes.

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© Emmanuel Crooÿ.

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© TEFAF Maastricht.

Photo : Re.S.Artes.

Photo : Re.S.Artes.

Photo : Re.S.Artes.

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