Le fils de Maia Ruth Lee a sept ans. Quand il rentre de l’école, Lee arrête de répondre aux e-mails de sa galerie – ou de faire quoi que ce soit d’autre relatif au travail. Les week-ends, elle ne va pas dans son atelier. « C’est une limite que je me suis fixée, explique-t-elle. Quand mon fils sort de l’école, je ne travaille pas. » La manière dont Maia Ruth Lee envisage de concilier travail et maternité a beaucoup évolué depuis son premier accouchement, alors qu'elle vivait à New York. Peu d’artistes de son entourage avaient des enfants. Ne pouvant s'identifier à quelqu'un dans sa situation, elle a commencé à se sentir perdue. « Le monde de l'art new-yorkais ne prend pas en compte les enfants, soupire-t-elle. Je ressentais un sentiment total d’insécurité et je me demandais : “Est-ce que je dois continuer ? Est-ce que je suis encore une artiste ?” »
Puis Maia Ruth Lee a reçu une bourse. Elle avait été tellement exclue du monde de l'art qu'elle a cru que l'appel lui annonçant la nouvelle était une blague. Mais cette bourse a eu un impact sur elle, en lui montrant qu'il lui était tout à fait possible d'être à la fois mère et artiste. « Cela m'a donné confiance en moi », dit-elle aujourd'hui.
Pas seulement une aide financière
Maia Ruth Lee se souvient de cette période de sa vie, quand Julia Trotta, cofondatrice avec Maria De Victoria de l'association à but non lucratif Artists and Mothers, l'a approchée pour rejoindre l'organisation. Lancée en 2024, Artists and Mothers offre chaque année des bourses de garde d'enfants de 25 000 dollars à trois mères artistes basées à New York, et qui ont la charge d'enfants de moins de trois ans. « Je sais ce que ce type de soutien signifie pour une personne qui subit non seulement une transformation physique, mentale et spirituelle, mais essaie également de déterminer si elle peut encore continuer à faire émerger des œuvres de l'intérieur d’elle-même », indique Lee. Cette marque de confiance démontre que l'aide n'est pas seulement financière. Au monde de l'art dans son ensemble, Artists and Mothers espère « faire prendre conscience de la réalité de ce que vivent ces artistes, explique Julia Trotta. Et peut-être même faire pression pour obtenir un meilleur système de soutien ».
Le projet Artists and Mothers est un exemple parmi d'autres aux États-Unis, où la protection sociale est quasi inexistante, des manières nouvelles de soutenir les artistes qui sont aussi mères – en France les aides restent encore rares. Après avoir donné naissance à son fils il y a près de dix ans, l'artiste Alisha Wormsley s'est rendu compte que sa vie professionnelle allait devenir beaucoup plus difficile. Un certain nombre de résidences qu'elle devait rejoindre ou pour lesquelles elle avait été sélectionnée n'étaient pas en mesure d'accueillir des familles. « J'ai quand même fini par faire toutes ces choses avec un bébé. J'ai obtenu un MFA (Master of Fine Arts, ndlr), et c'était tellement difficile, se souvient-elle. Je ne voulais pas que ce soit aussi difficile pour d'autres. »
En 2019, Alisha Wormsley a décidé de lancer une résidence dédiée aux artistes mères noires à Pittsburgh, où elle vit : Sibyls Shrine. Lorsque le Covid a frappé, l'artiste a utilisé l'aide reçue pour soutenir des groupes constitués sur internet, qui ont commencé à développer un réseau croissant et autonome de résidentes. À travers les diverses itérations d'une résidence traditionnelle, Alisha Wormsley et sa collaboratrice Jessica Gaynelle Moss connectent les artistes à des opportunités qui nourrissent leurs pratiques (ou elles-mêmes). Au fur et à mesure que le programme s'est développé, son éthique a évolué vers « une réflexion sur ce qu'est le matriarcat, confie Wormsley. Et comment créer des systèmes de care (au sens large de soin, soutien, attention, ndlr) ».
Des mères affirmées
Ce type d’attention est encore trop souvent considéré comme contraignant dans le monde de l’art. Allie Furlotti et Jeanine Jablonski tentent de changer cela. En 2023, elles ont lancé ILY2, un lieu de résidence expérimental basé à Portland, devenu une galerie. Elles ne cachent pas qu'elles sont des mères qui gèrent une galerie, et utilisent ce qu'elles ont appris en tant que mères pour mieux la gérer. Les besoins des artistes d'ILY2, qui ont entre 27 et 75 ans, sont « très différents, raconte Jeanine Jablonski. Nous sommes en mesure d'être très réactives, d'une manière parallèle à la façon dont nous sommes parents ».
Cette approche est d'autant plus remarquable que la norme dans l'industrie de l'art est de promouvoir une culture de la compétition, ce qui donne à la plupart des artistes – en particulier qui s'identifient à des femmes – l'impression d'être jetables. « L'archétype de l'artiste femme est le suivant : “Je ne veux pas faire d’histoires. Je veux jouer la carte de la sécurité” », remarque Maia Ruth Lee. Alors que d'autres secteurs ont adopté des politiques favorables à la famille, dans le monde de l'art, « lorsque vous ajoutez un enfant au tableau, note Lee, vous devez presque faire comme s'il n’en faisait pas partie ».
En choisissant d'être « des mères affirmées », comme le dit Jeanine Jablonski, toutes promeuvent un type de culture qui se nourrit de la communauté, qui pratique le care et contribue à créer une image plus valorisante de ce que peuvent être les artistes et les professionnelles de l'art. « Il faut montrer qu'il est possible de faire les deux, soutient Jeanine Jablonski. Ce n'est pas forcément facile, mais ça le deviendra davantage si nous sommes capables d'en parler. »
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Courtesy the Mattress Factory.

Courtesy de l’artiste.

Courtesy of Sibyls Shrine.

Courtesy de l’artiste.

Courtesy of Sibyls Shrine.

Courtesy de l’artiste.

Capture d’écran. DR.
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© Blank Forms.
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Photo : ILY2.

Photo : ILY2.

Photo : Mario Galluccii.
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Photo : ILY2.

Courtesy of the artist and Tina Kim Gallery. Photo: Susan Behrends Valenzuela.

Courtesy of Tina Kim Gallery. Photo by Charles Roussel.
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Courtesy of the artist and Tina Kim Gallery. Photo: Dario Catellani.


Courtesy of the artist and Tina Kim Gallery. Photo: Hyunjung Rhee.

Photo : Mario Galluccii.