Le Quotidien de l'Art

L'image du jour

Jeu d'enfant

Jeu d'enfant

Lorsqu’il commence à percer dans les années 90, l’artiste belge Francis Alÿs, architecte et urbaniste de formation, ne change pas grand-chose à sa routine et son état d’esprit artistique, qui vit et grandit à l’air libre. Loin des vernissages glamour et de la bulle du monde de l’art, il continue à se promener dans les villes du monde un seau de peinture percé à la main, laissant derrière lui une trace de son passage. Si le geste évoque une conception de l’art et de la performance proche de l’Arte povera ou des Situationnistes, il rappelle aussi les contes du Petit Poucet et de Hansel et Gretel, qui jalonnent de petits cailloux leur chemin dans la forêt pour s’en souvenir. Dix ans plus tard, Francis Alÿs passe de l’autre côté du miroir : abandonnant la mise en jeu de sa propre personne, il se met dans les années 2000 à observer et filmer les autres. Son regard se pose avant tout sur les enfants, dont il enregistre la gaieté et l’inventivité. Comme lui à ses débuts, ceux-ci font leur entrée dans le monde en mettant à profit ce qu’ils possèdent – leur corps, leur présence mutuelle et l’espace urbain qu’ils habitent. En quinze ans, l’artiste a assemblé une grande série d’œuvres vidéo, Children’s Games, dont le Barbican à Londre montre pour la première fois l’intégralité. Sur deux étages, la quinzaine de films grouillant de petits pas et bruyant de petites voix résonne comme un immense ricochet de jeu et de joie. De l’Afghanistan au Mexique, en passant par l’Italie et le Brésil, les jeunes amis font feu de tout bois : élastique, cailloux, bâtons, miroirs brisés, mais aussi vautours dans le ciel, maisons abandonnées, ou fusils de papier en Ukraine… Car pour les enfants du nouveau millénaire, il en faut peu pour être heureux, et beaucoup pour être peureux. À l’aube des crises politiques et écologiques, qui condamnent ici et là l’espace public, devenu trop dangereux quand il n’est pas déjà privatisé, la créativité, la connexion humaine et la liberté de mouvement, essentielles à toute enfance, résistent comme elles peuvent. Avec un peu de bonheur et beaucoup de candeur.

« Francis Alÿs. Ricochets », jusqu'au 1er septembre au Barbican, Londres.

Vue de l'exposition "Francis Alÿs Ricochets", au Barbican de Londres.
Vue de l'exposition "Francis Alÿs Ricochets", au Barbican de Londres.
© Photo Jemima Yong/Barbican Art Gallery.

À lire aussi


Le Penseur de Johnson
Article abonné

Jesse Darling, lauréat du Turner Prize 2023
Article abonné

Le V&A acquiert les archives de David Bowie
Article abonné

Article issu de l'édition N°2879