Son histoire, intitulée Herstory, parcourt 60 années d’expérimentations, du minimalisme et du Earth art au féminisme des années 1970 et aux séries narratives des années 1980 et 1990. Elle ouvre sur The Dinner Party (1974-1979), banquet cérémoniel d’images où chaque « assiette » porte le nom de femmes éminentes : Georgie O’Keeffe, « la mère de toutes », avec un dessin à l’encre d’un cerveau fendu par une vulve, ou Virginia Woolf, qui « guérit les femmes de leur silence historique » avec un motif de pétales où la fente centrale abrite de possibles œufs. La Birth Trinity (1983-1985), ici avec Earth Birth et Birth, confectionnée au crochet-filet combinant des mailles ouvertes et pleines, représente une femme accouchant. L’œuvre longue de six mètres met en évidence la rareté des représentations du vécu des femmes dans l’histoire de l’art. Judy Chicago le résume avec causticité : « si les hommes mettaient des enfants au monde, on trouverait des milliers d’images de leur accouchement. » Elle s’inscrit dans son Birth Project, entamé en 1980, exposé dans plus de cent lieux, qui mobilise plus de cent brodeuses. L’ampleur de l’arc temporel s’incarne dans ses Rainbow Pickett [Structures primaires] (1965/2021) montrée une première fois dans l’exposition historique Primary Structures au Jewish Museum de New York en 1966, qui réunit quarante-deux artistes anglo-saxons, dont seulement trois femmes. Se démarquant des canons du minimalisme, elle affirme une exubérance « féministe » de la géométrie et de la couleur qui l’éloigne des maîtres du minimalisme objectif comme Donald Judd ou Robert Morris.
Couleur émancipatrice
La couleur est pour elle un outil à valeur de manifeste : tout au long de ses soixante années de carrière, Judy Chicago croise sa vision féministe avec les mouvements artistiques qu’elle traverse. Au milieu des années 1960, elle se forme aux « arts machistes » : construction navale, carrosserie ou pyrotechnie. Seule femme parmi 250 hommes, elle manie le spray et en tire la série « Hoods », (1964-1965), « capots de voiture », « le plus masculin des objets », recouverts de motifs de Rorschach. Dissociant le minimalisme du masculin, elle emprunte aux artistes du Light and Space et du Finish Fetish et marie une palette de couleurs acidulées à des formes industrielles. Signe éclatant de sa pertinence, on juge cet usage de la couleur « trop féminin ». En 1969-1970, sa série abstraite Pasadena Lifesavers, géométries aux tons bleus, jaunes et rouges, l’émancipe de ce minimalisme masculin : un vocabulaire de contrastes et de gradations distille une « sensation de dissolution », référence explicite à l’orgasme féminin où des formes circulaires évoquent des bouées, des yeux, des bouches ou le « O » de l’extase. Plus tard, son Autobiography of a Year (1993-1994) chronique une période de doute dépressif, à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, sur les pas de Georgia O’Keeffe. Sa méthode de dessin impulsive traduit les sentiments par des correspondances de couleur synesthésiques : le jaune le bonheur, le rouge la colère, le bleu la tristesse. Elle lève alors tous les filtres.
« Judy Chicago : Herstory », LUMA Arles, jusqu'au 29 septembre www.luma.org