Le Quotidien de l'Art

L'image du jour

Eisenstein, version X

Eisenstein, version X

Il est l’une des gloires de la Révolution, le chantre de l’épopée slave au cinéma : Sergei Eisenstein (1898-1948) semble indéboulonnable au panthéon soviétique. Pourtant, au début des années 1930, il file du mauvais coton : il voyage à Berlin et Paris, où il fréquente notamment les cabarets de travestis et se lie avec Cocteau, passe aux États-Unis où il fréquente Charlie Chaplin et Walt Disney, puis s'installe 14 mois au Mexique pour un film qui ne sera jamais achevé, y nouant une relation homosexuelle passionnée avec Palomino Cañedo, un historien des religions, tout en s’épanchant dans un flot de dessins érotiques. Informé de ces écarts, Staline rappelle le renégat à l’ordre : de retour dans l’univers totalitaire puritain, Eisenstein se marie avec sa secrétaire Pera Atacheva et file doux. Mais ces fameux dessins, dont il grossit régulièrement le corpus, l’accompagnent jusqu’à sa mort, dans le plus grand secret. Secret qui sera finalement éventé dans un feuilleton à rebondissements. Cédés à son fidèle cameraman Andreï Moskvine, les 547 feuilles entrent sous la perestroïka en possession de Vladimir Alloy, éditeur de Saint-Pétersbourg, qui les apporte à Paris dans une valise, avec l’intention de les montrer et de les vendre. Sous l’égide des éditions du Seuil et la collaboration des historiens de l’art spécialisés Jean-Claude Marcadé et Galia Ackerman, une grande opération est conclue à la foire de Francfort avec, à la clé, une quinzaine d’éditions internationales. Las : à la veille de la publication, tous les éditeurs se rétractent - pour des raisons mal élucidées où la crainte du politiquement incorrect a dû jouer - et seul le Seuil sort en 1999 sa version écourtée, devenue collector. En 2017, les dessins resurgissent, proposés par la galerie Alexander Gray de New York et le consultant londonien Matthew Stephenson. Tous ne sont pas cédés : 34 d'entre eux sont aujourd'hui montrés à Amsterdam, « un choix soigné, rassemblant des dessins sur des sujets spécifiques et documentant différentes périodes », selon la galeriste Ellen de Bruijne, avec des prix compris entre 7 000 et 20 000 euros. Loin d'une Russie peu accueillante pour ce genre de création, l'histoire continue...

Sergei Eisenstein, "Untitled", vers 1930 - 1940, graphite et crayons de couleur sur papier, 37,2 x 27 cm.
Sergei Eisenstein, "Untitled", vers 1930 - 1940, graphite et crayons de couleur sur papier, 37,2 x 27 cm.
© Courtesy Ellen de Bruijne Projects et Stephenson Art London.
Sergei Eisenstein, "Untitled", vers 1930 - 1940, graphite et crayon de couleur sur papier, 41,4 x 26 cm.
Sergei Eisenstein, "Untitled", vers 1930 - 1940, graphite et crayon de couleur sur papier, 41,4 x 26 cm.
© Courtesy Ellen de Bruijne Projects et Stephenson Art London.

Article issu de l'édition N°2873