En shorts, tongs et casquettes, des curieux écoutent attentivement un guide détailler l’histoire d’une mosaïque de près de six mètres carrés. La scène se passe dans la ruelle Beco João Inácio, au cœur du quartier populaire de Pequena África (« Petite Afrique »), dans la zone portuaire de Rio de Janeiro, loin des zones touristiques. L’œuvre représente Hilário Jovino Ferreira (1855-1933), danseur de samba et grande figure du carnaval qui vécut ici, à deux pas de la place du Largo de São Francisco da Prainha. La mosaïque a été réalisée en 2022 par l’artiste John Souza et les artisans de l’Ateliê Cosmonauta Mosaicos, en hommage à ce personnage injustement sous-représenté dans la culture mainstream.
L’endroit est devenu un passage obligé des « afro-tours » et autres promenades « afro-centrées » qui ont vu le jour ces 15 dernières années au Brésil, qui fut l’un des derniers pays au monde à abolir l’esclavage, en 1888. Ces visites guidées visent à combattre le racisme structurel en restaurant la mémoire noire occultée et en faisant (re)découvrir la culture afro-brésilienne. Dès 2011, la municipalité de Rio a créé un « Circuit historique et archéologique de célébration de l’héritage africain », indiqué par une signalisation officielle et animé par des visites guidées et des évènements. Mais la plupart des initiatives de valorisation de l’histoire et de la culture afro-brésiliennes, qu’elles soient à destination des riverains ou des touristes nationaux ou internationaux, sont portées par des structures associatives et des agences de voyages indépendantes, souvent créées par des personnes noires. Comme la petite agence inclusive Sou + Carioca, qui axe ses visites sur des « récits afroréférencés » et se sert du tourisme comme d’un « outil puissant » pour partager l’histoire oubliée.
Redécouvrir le Brésil et le monde à travers l’histoire noire
Situé dans le quartier carioca de Gamboa, proche de Pequena África, l’Instituto Pretos Novos (IPN) propose visites, conférences, ateliers, concerts et spectacles à la croisée du tourisme et de l’éducation populaire. « Pretos Novos » (« nouveaux noirs ») est l’expression qui désignait autrefois les esclaves à peine débarqués. L’IPN a vu le jour en 2005, dans une maison où fut découverte neuf ans plus tôt, lors de travaux lancés par les propriétaires de l’époque, une partie du cimetière des Pretos Novos. Il est reconnu d’utilité publique depuis 2008. La plupart des visites gratuites qu’il organise comprennent des arrêts sur le quai de Valongo – site classé à l’UNESCO où accostèrent 900 000 esclaves –, ainsi que le site de la Pedra do Sal – considérée comme le berceau de la samba –, ou encore le centre culturel José Bonifácio, réputé pour sa collection d’art africain. D’autres circuits emmènent les visiteurs dans les quartiers périphériques, notamment Madureira, haut lieu de la samba et du jongo, danse d'origine africaine au rythme des tambours caxambu.
Méconnus des touristes et contournés par les classes aisées, ces lieux sont pourtant très riches et vivants sur les plans historique, artistique et culturel. Alexandre Nadai, directeur de la communication de l’IPN, qualifie Pequena África de « grand musée à ciel ouvert ». Certaines agences proposent des expériences partout dans le pays (c’est le cas de Conectando Territorios) et même à l’étranger, comme Bitanga Travel (collectif dédié à la mise en valeur des femmes noires dans les récits de voyages) et Brafrika Viagens, qui a développé des offres en Colombie et en France.
Entrepreneuriat et communautés traditionnelles
La plateforme d’afrotourisme Guia Negro (« Guide Noir »), fondée en 2018 à São Paulo par Guilherme Soares Dias, journaliste et consultant en diversité, ne se contente pas de conduire les promeneurs sur des sites archéologiques ou ancestraux. Elle fait écho en France au Paris Noir, fondé par Kévi Donat, qui propose des balades et un podcast pour redécouvrir la capitale à travers ses habitants, artistes, personnalités politiques et intellectuelles afrodescendantes. « Nous proposons des visites guidées dans 30 villes brésiliennes, précise Guilherme Soares Dias. Et nous ne parlons pas seulement du passé et de la douloureuse période de l’esclavage, mais aussi du présent et de l’effervescence actuelle de la négritude au Brésil. » À São Paulo, on s’arrête par exemple à la Casa Preta Hub (le « Hub Maison Noire »), un espace dédié aux entrepreneurs noirs.
À côté de ces initiatives, les quilombos, poches de résistances des communautés noires traditionnelles en milieux ruraux ou urbains, attirent de plus en plus de visiteurs. Leurs droits fonciers leur sont octroyés par la fondation Palmares, organisme public en charge de la promotion de la culture afro-brésilienne et de la mémoire de l’esclavage. On peut citer le Quilombo Campinho da Independência, sur la Costa Verde, qui a obtenu son titre de propriété il y a 25 ans. Avec sa boutique d’artisanat, ses chambres d’hôtes et son restaurant afro-brésilien à base de produits issus des cultures agroécologiques du domaine, il a la particularité de reposer sur une organisation matriarcale.