Le Quotidien de l'Art

Faire œuvre après la disparition

Faire œuvre après la disparition
L’atelier de Bruno Albizzati.
DR.

Certains parcours s'interrompent brutalement : comment familles, amis ou collaborateurs gèrent-ils l'œuvre d'un artiste décédé prématurément ? Et comment continuer de faire vivre un travail qui, dans bien des cas, n'a pas eu le temps d'être montré ? Enquête.

Au Quotidien de l’Art, nous sommes régulièrement amenées à écrire des nécrologies. Souvent, l’exercice est marquant. Il peut s’avérer difficile, douloureux. Et il est particulièrement déchirant quand il s’agit d’une personne jeune, dont la disparition n’est pas, selon la formule, « dans l’ordre des choses ». Ces dernières années, nous avons publié des articles annonçant la mort de jeunes artistes : Adrien Fregosi, Dorine Mokha, Lin May Saeed, Maïa Izzo-Foulquier, Bruno Albizzati, Mehryl Ferri Levisse, Oksana Chatchko… David Caille n’a pas été mentionné dans nos pages. En 2014, l’artiste de 28 ans mettait fin à ses jours, dans son atelier. Trois ans plus tard, Treize, à Paris, inaugurait l’« Open studio » que David Caille avait prévu avant sa mort. La critique d'art Camille Azais écrivait alors dans la revue Zérodeux : « Très peu de gens connaissaient le travail de David Caille. Passé brièvement par Limoges puis par l’école des beaux-arts de Lyon, il fut élève de Peter Doig à Düsseldorf. À Paris, il était entouré d’un cercle d’amis artistes qui connaissaient sa peinture et l’encourageaient. Mais au-delà de ce cercle intime, presque personne. Il n’y a jamais eu d’expo David Caille. Il n’y a pas eu d’articles. Il y a très peu de photos. Et, depuis cette exposition rétrospective organisée chez Treize par Mathis Collins et Gallien Déjean, il y a un texte, qui retrace le parcours de ce très jeune artiste né en 1986 et disparu en 2014. »

Le nom d’Alban Denuit, assassiné le 13 novembre 2015 au Bataclan, a quant à lui été mentionné deux fois dans le Quotidien de l'Art. D'abord dans un article publié deux jours après les attentats, puis le 24 décembre 2015, dans une rétrospective de l’année écoulée : « Quant à l’attentat du Bataclan du 13 novembre, il compte au rang de ses victimes un critique d’art, Fabian Stech, et un artiste, Alban Denuit. » Diplômé des Beaux-Arts de Paris où il a étudié aux côtés de Giuseppe Penone, enseignant et auteur d’une thèse soutenue en juillet 2015 à l’université Bordeaux Montaigne, Alban Denuit était représenté par la galerie bordelaise Eponyme. En janvier 2017, l’artiste Vincent Lemaire et le commissaire d’exposition Théo-Mario Coppola inauguraient au musée de Marmande une exposition hommage à l’artiste disparu à 32 ans, tandis que sa mère témoignait dans la presse de son souhait de « continuer à faire vivre ses œuvres ». Comment accomplir cette tâche quand il s'agit d’un artiste décédé dans la fleur de l’âge, parfois très brutalement ?

Familles, réseaux, amitiés

« C’est un sujet très important, affirme Alice Albizzati, sœur du peintre Bruno Albizzati (1988-2021). Il touche davantage les artistes décédés prématurément, qui n’ont pas toujours eu la possibilité de s’institutionnaliser. » Bruno Albizzati a 33 ans lorsqu’il se suicide dans son atelier, à Poush Manifesto. « Il n’a pas eu le temps d’avoir la reconnaissance qu’il méritait, poursuit sa sœur. C’est très important pour moi de continuer de faire rayonner son travail, mais nous sommes livrés à nous-mêmes. On ne sait pas par où commencer, il n’y a pas de mode d’emploi dans de tels cas de figure. » Alice Albizzati se souvient que, quelques jours après la disparition de son frère, elle était tombée sur un livre traitant des successions d’artistes. « Il s’agissait d’artistes comme Matisse ou Monet, mais ce livre m’a aidée à me sentir moins seule », reconnaît-elle. Marine Lang témoigne elle aussi du désarroi qu’elle a ressenti après la mort de son…

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Article issu de l'édition N°2870