Dans la myriade de sourires croqués par Frans Hals (vers 1580-1666), celui du Garçon chantant avec flûte (1627) est peut-être l’un des moins déchiffrables. Porté par les applaudissements de son public, se laisserait-il griser par les compliments ? Sa main levée signale-t-elle au contraire son refus d’une énième requête d’un spectateur aviné ? Car dans nombre des portraits du peintre néerlandais, les spiritueux coulent à flots. Savourés par les enfants comme les adultes, ils empourprent nombre de joues replètes, chauffant même certaines oreilles. Tous les protagonistes réunis dans la rétrospective du Rijksmuseum – la première depuis 1990, déclinée en deux autres versions par la National Gallery de Londres et la Gemäldegalerie de Berlin – sont profondément incarnés, de chair et d’âme. De la bohémienne tous seins dehors au riche marchand au cou dévoré par sa fraise, Hals ne bouda pas son plaisir question sourire, une rareté dans un XVIIe néerlandais des plus corsetés : embué par les vapeurs de l’alcool, le rictus d’un milicien de la compagnie de Saint-Georges se fait lâche ; le bonheur d’un couple de jeunes mariés se lit aux coins de lèvres entrouvertes, et l'espièglerie du Cavalier riant (1624, sorti de la Wallace Collection de Londres pour la première fois depuis 1870) frémit sous sa moustache. Et si la barbe se fait trop touffue pour distinguer la bouche, comme dans le Portrait de Pieter Verdonck (1627), elle se lit dans le pétillement d'yeux presque fous, menaçants. Chez Hals, le sourire flirte aussi avec la cruauté et la moquerie, parfois le délire, échappé des dents gâtées de la Malle Babbe (vers 1640), copiée par Courbet. L’exposition du Rijksmuseum, qui clôt sa grande trilogie de rétrospectives de peintres du Siècle d'or (Rembrandt en 2019, Vermeer en 2023, Hals en 2024) ne manque pas d'ancrer l'Haarlémois en grand précurseur de l’impressionnisme, lui dont les coups de pinceaux lâches et la fluidité du trait furent étudiés par ses contemporains dans son atelier, et révérés bien plus tard par Van Gogh, amoureux de ces « mains pas terminées » si dynamiques chez le Garçon chantant avec flûte.
« Frans Hals», jusqu'au 9 juin au Rijksmuseum, Amsterdam, rijksmuseum.nl