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Jean-Michel Abimbola, ministre de la Culture du Bénin : « Deux milliards d’euros pour la culture dans la prochaine décennie »

Jean-Michel Abimbola, ministre de la Culture du Bénin : « Deux milliards d’euros pour la culture dans la prochaine décennie »
Jean-Michel Abimbola.
© Présidence du Bénin.

Le Bénin est à la fois au cœur des questions de restitutions d'œuvres pillées par les empires coloniaux, et acteur des nouvelles dynamiques de la scène artistique contemporaine. Jean-Michel Abimbola, ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts, détaille les politiques mises en place pour soutenir ces axes forts.

Pouvez-vous revenir sur les grandes dates de la procédure de restitution des trésors royaux d’Abomey ? 

Si nous devions faire la genèse de la restitution, je mettrais l’accent sur plusieurs étapes majeures. Tout d’abord, le 26 août 2016, avec la première requête du gouvernement du président de la République Patrice Talon, visant la restitution des biens culturels issus du patrimoine national du Bénin. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Manuel Valls sous la présidence de François Hollande, refuse catégoriquement au nom du principe d’inaliénabilité des collections nationales. Le 28 novembre 2017, les choses évoluent. Le président Emmanuel Macron prononce le discours de Ouagadougou. Il annonce être favorable à la circulation des objets culturels. L’État français commande le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine africain, permettant de préciser les modifications à intégrer au code du patrimoine et la nature spécifique des biens concernés. En novembre 2018, le rapport Sarr-Savoy est remis et précise le lot en question. Il est constitué des trésors royaux pris par l’armée coloniale française du colonel (devenu plus tard général) Dodds à la suite de la conquête du Danxomè. À notre demande, en décembre 2019, a lieu la visite de Franck Riester, ministre français de la Culture, consacrant la signature du programme de travail commun qui séquence, entre les deux pays, les différentes étapes de la restitution. Le 24 décembre 2020, le Parlement français vote la loi relative à la restitution des biens culturels. Le processus se met alors en place. Le 9 novembre 2021, s’effectue la signature de l’acte de transfert officiel par les ministres de la culture des deux pays, Roselyne Bachelot et moi-même. Finalement, le 10 novembre 2021, les œuvres sont acheminées au Bénin pour une cérémonie de présentation au public au palais de la présidence de la République à Cotonou.

Aujourd’hui, où se trouvent les œuvres ? 

Les œuvres sont à Cotonou, stockées dans l’attente d’être transférées, comme convenu, dans le futur musée d’Abomey qui sera inauguré à la fin de l’année 2025.

Depuis 2019, vous êtes de nouveau au gouvernement en tant que ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts du Bénin. La crise du Covid ne semble pas ralentir l’émergence de tout un écosystème. Quelles mesures mettez-vous en place en faveur de l’art contemporain ?

La crise du Covid n’a pas freiné notre dynamisme qui place la culture et le patrimoine au cœur de la politique publique de développement du Bénin, et notamment notre volonté de créer de l’emploi pour la jeunesse béninoise. Un certain nombre de mesures ont été prises, et lorsque l’on parle de politique publique, la première mesure a été de se doter d’un véritable budget, soit 2 milliards d’euros dédiés au développement de la culture dans la prochaine décennie. Ce qui est assez inédit si on compare aux autres pays du continent. Nous nous donnons les moyens des objectifs qui sont les nôtres. La vision du Bénin au niveau de l’art contemporain est claire, elle consiste à faire de notre pays une plateforme du développement des industries culturelles et créatives connectées aux grands pôles artistiques internationaux. Nous sommes en train de structurer cet écosystème. Sans tomber dans le piège du discours politique, voici quelques éléments factuels. Nous accompagnons la mobilité des artistes et la circulation de leurs œuvres aux niveaux national et international à travers le volet contemporain de l’exposition diptyque « Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui, de la restitution à la révélation » (dont l'inauguration par le président Talon le 14 décembre à la Fondation Clément, une ancienne plantation en Martinique, a provoqué des contestations, ndlr). Nous structurons également les filières économiques et professionnelles dans ce domaine. Nous animons les réseaux de création et de diffusion artistiques et culturelles. En ce sens, figure dans nos investissements la création d’un quartier culturel et créatif à Cotonou, dont le navire amiral sera le futur musée d’art contemporain de Cotonou : le MACC. C’est un musée d’art contemporain au sens large, même si un regard particulier sera porté sur le Bénin et l’Afrique.

Pour quand est-ce prévu ?

Ces équipements seront disponibles entre fin 2025 et le premier trimestre 2026. Nous avons prévu dans ce quartier culturel et créatif des ateliers-résidences à destination des artistes et notamment une villa de résidence. Nous créons également des espaces à destination des galeries d’art. 

En effet, depuis 2021, plusieurs galeries ont vu le jour (lire l'article du 20 octobre 2023) et une section de l'AICA (Association internationale des critiques d'art, ndlr) vient de se créer. Quelles sont les initiatives spécifiques prévues pour le développement du marché de l’art ? 

Cotonou commence à vibrer, et le gouvernement souhaite accompagner les différents acteurs. Ainsi nous travaillons à un cadre légal pour le mécénat culturel. Plusieurs mesures incitatives ont été mises en place ces derniers mois pour soutenir les galeries et les artistes. Nous avons par exemple dans la loi de finances de 2023 prévu un dispositif qui permet des déductions pour certaines contributions dans le domaine de la culture, notamment les dons et les libéralités après un certain plafond de chiffre d’affaires. Divers décrets ont également été pris, tels celui sur l’auto-assurance des œuvres ou un autre sur la licence d’exportation des biens culturels. Un certain nombre de dispositifs légaux sont mis en œuvre, dont nous espérons voir rapidement les retombées. Par ailleurs, avec l’appui de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI, ndlr), nous travaillons à un avant-projet de loi relative à la protection littéraire et artistique pour améliorer les droits d’auteurs. La construction de ce cadre légal vient structurer et permettre le développement de cet écosystème. Nous avons aussi créé l’Agence du développement des arts et de la culture, qui va se doter dans les mois à venir d’un guichet de financements des projets culturels et artistiques à travers des résidences, des bourses d’études, voire des bourses de subsistance pour les artistes. L’idée est de créer un écosystème favorable à l’ensemble des acteurs. Ainsi nous travaillons conjointement à la question de la formation des acteurs culturels de demain et au développement de pôles touristiques et culturels tels que Cotonou, Porto-Novo, Ouidah ou encore Abomey dans un premier temps.

En 2024, le Bénin aura pour la première fois son pavillon à la biennale de Venise. Quelles sont vos attentes ? 

C’est une affaire de timing, nous avons reçu nos biens culturels fin 2021, fait l’exposition diptyque sur une durée de six mois, mis en œuvre un certain nombre de choses... Vous comprenez que tout ce qui a été fait, depuis le retour des œuvres jusqu’à la prochaine biennale de Venise et la création de notre musée d’art contemporain, est cohérent et correspond à une vision d’ensemble. Cela s’inscrit dans la construction d’une politique culturelle pour le développement, et pas juste un discours militant. Il s’agit d’une réelle volonté de placer la culture au cœur de l’économie béninoise. Venise, c’est vraiment pour acter symboliquement la présence du Bénin sur le marché de l’art contemporain. Nous espérons que cela donnera de l’amplitude à ce qui a déjà été fait par le gouvernement et par les acteurs sur place, et continuerons d’accompagner cet écosystème qui est en train d’éclore. 

Arrivée des œuvres restituées au Bénin à Cotonou le 10 novembre 2021.
Arrivée des œuvres restituées au Bénin à Cotonou le 10 novembre 2021.
© Présidence du Bénin.
Cérémonie pour l’arrivée des œuvres restituées au Bénin à Cotonou le 10 novembre 2021.
Cérémonie pour l’arrivée des œuvres restituées au Bénin à Cotonou le 10 novembre 2021.
© Présidence du Bénin.
Cérémonie pour l’arrivée des œuvres restituées au Bénin à Cotonou le 10 novembre 2021.
Cérémonie pour l’arrivée des œuvres restituées au Bénin à Cotonou le 10 novembre 2021.
© Présidence du Bénin.
Moufouli Bello, Tassi Hangbé, Acrylique sur toile, 250x200cm, 2020.
Œuvre présentée dans l’exposition  « Art du Bénin d’Hier et Aujourd’hui ».
Moufouli Bello, Tassi Hangbé, Acrylique sur toile, 250x200cm, 2020.
Œuvre présentée dans l’exposition « Art du Bénin d’Hier et Aujourd’hui ».
Collection privée. Photo : Yanick Follycopie.
Julien Sinzogan, La révérance, acrylique sur toile, 60x90cm, 2019.
Œuvre présentée dans l’exposition  « Art du Bénin d’Hier et Aujourd’hui ».
Julien Sinzogan, La révérance, acrylique sur toile, 60x90cm, 2019.
Œuvre présentée dans l’exposition « Art du Bénin d’Hier et Aujourd’hui ».
Collection La Galerie Nationale 2021. Photo : Yanick Follycopie.
Trône d’apparat du roi Ghezo, Royaume du Danhomè, bois et métal, 19eme siècle. Collection Dodds restituée.
Trône d’apparat du roi Ghezo, Royaume du Danhomè, bois et métal, 19eme siècle. Collection Dodds restituée.
© Patrick Gries.
Exposition en octobre 2021 du musée du quai Branly - Jacques Chirac à Paris des 26 statues du trésor d’Abomey de la collection Dodds qui ont été restituées au Bénin.
Exposition en octobre 2021 du musée du quai Branly - Jacques Chirac à Paris des 26 statues du trésor d’Abomey de la collection Dodds qui ont été restituées au Bénin.
GINIES/SIPA.
L’exposition « Art du Bénin d’Hier et Aujourd’hui » au musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain à Rabat.
L’exposition « Art du Bénin d’Hier et Aujourd’hui » au musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain à Rabat.
© Facebook / Art du Bénin.
L’exposition « Art du Bénin d’Hier et Aujourd’hui » au musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain à Rabat.
L’exposition « Art du Bénin d’Hier et Aujourd’hui » au musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain à Rabat.
© Facebook / Art du Bénin.

Article issu de l'édition N°2734