C'était le 18 février dernier au sous-sol du Palais de Tokyo, lors d'une rencontre bouleversante autour de l'exposition « Exposé.es ». Nancy Brooks Brody se tenait là, frêle dans une large veste mais le regard noir perçant, parmi ses amies de fierce pussy, ce collectif d'artistes et activistes féministes lesbiennes fondé en 1991 à New York dans la fureur de la lutte contre le Sida. Joy Episalla, Zoe Leonard et Carrie Yamaoka, ainsi que d'autres proches, sont restées à ses côtés jusqu'au bout de la maladie, un cancer des ovaires qui a emporté Nancy Brooks Brody le 8 décembre, à l'âge de 61 ans. Après une présentation à la galerie Joseph Tang à Paris en 2015, l'exposition du Palais de Tokyo avait permis début 2023 au public français de mieux connaître le travail de dessin et sculpture tout en finesse et en concentration de cet.te artiste (non-binaire), mêlé à celui de ses compagnes de route. L'ancien.ne militant.e d'Act Up, qui débuta sa pratique au début des années 1980, avait fourni, raconte Élisabeth Lebovici, conseillère scientifique de l'exposition, d'« énormes efforts pour l'accrochage » de ses œuvres géométriques minimales « à la fois abstraites et corporelles, dans un rapport à la légèreté, à l'équilibre ». Le lien de l'artiste, formé.e à la High School of Music & Art puis à la School of Visual Arts de New York, avec la danse et Merce Cunningham « se retrouve dans l'idée que la force est supérieure à la forme. Un travail qui aiguise l'intensité de la perception », poursuit la critique d'art. À la fois légères et fortes, les lignes tracées étaient à sa mesure, discrètes mais inextricablement liées aux autres, au « nous ». Engagé.e, Nancy Brooks Brody interrompit un temps sa carrière artistique pour devenir pompier volontaire et se battait pour de nombeuses causes, notamment la sécurité sociale universelle. Un engagement physique dans le réel qui en dit long sur son implication dans le monde, qu'Élisabeth Lebovici résume : « Tout ce qu'a fait Nancy signifiait : ''Je suis là'' ».