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Philippe Quesne : « L’originalité de la Ménagerie de verre, c’est l’esprit de recherche »

Philippe Quesne : « L’originalité de la Ménagerie de verre, c’est l’esprit de recherche »
La Démangeaison des ailes de Philippe Quesne à la Ménagerie de Verre en 2003.
© Philippe Garnier.

Après avoir dirigé les Amandiers de Nanterre de 2014 à 2020, Philippe Quesne est arrivé en juillet 2022 à la direction artistique de la Ménagerie de verre, dans le 11e arrondissement de Paris. Ce lieu indispensable à la création fête jusqu'au 16 décembre ses 40 ans avec le festival Les Inaccoutumés, où se mêlent danse, performance, musique, littérature, politique... Entretien avec le metteur en scène à la tête de la compagnie Vivarium Studio, fervent mixologue d'arts visuels et d'art vivants. 

Marie-Thérèse Allier, fondatrice légendaire de la Ménagerie de verre disparue en mars 2022, vous avait choisi pour prendre sa suite. Comment assurer cette transition ?

J’ai montré ma première pièce ici il y a vingt ans, en 2003, La Démangeaison des ailes. J’y ai également été accueilli en résidence, et Marie-Thérèse et moi étions restés très proches. Jusqu’à sa mort à 91 ans, elle a gardé une grande densité d’amitiés et de fidélités avec les artistes, et elle s'intéressait à toutes les disciplines, de la littérature au cinéma en passant par les arts visuels. Aujourd’hui, avec le directeur exécutif Christophe Susset, on essaie de garder l’esprit du lieu.

Vous-même entretenez un lien ténu avec les arts plastiques : en 2017 et 2019 vous avez participé à la biennale de Lyon, à Nanterre vous invitiez des plasticiens, et vous aimez créer des « environnements » qui ont leur vie propre, comme des installations d’art contemporain. Comment réussir à croiser les disciplines ?

J’ai suivi une formation en scénographie aux Arts déco. Au départ, l’idée était de ne pas gâcher une scéno après un spectacle, comme la caverne de Caveland, le Crash Park de la biennale de Lyon ou le jardin de Nanterre. C’est une grande liberté, qui est aussi possible parce qu’en tant qu’artiste du spectacle vivant, je peux diriger un lieu. Ce qui n’existe pas dans le domaine des arts visuels, où on ne confie pas de responsabilité économique ou politique à des artistes : cela m’étonne toujours…

Parallèlement à cette incursion du spectacle dans l’art, on voit beaucoup de centres d’art devenir autant des espaces de parole que d’exposition.

L’histoire de l’art contemporain est habitée de cette question de l’échange, depuis Dada au cabaret Voltaire, Dubuffet qui voulait qu’on entre dans ses sculptures ou plus récemment Rirkrit Tiravanija et ses réunions culinaires. On retrouve cela chez les architectes et designers contemporains qui créent des espaces collectifs. Un lieu comme la Ménagerie, une ancienne imprimerie, a été pensé pour que sa carcasse et l’âme qui s’en dégage nourrissent les arts, et inversement. Sa salle principale – un ancien parking de seulement 2,60 mètres de haut, tout en profondeur avec un sol de béton et une lumière crue – est associée à la non-danse (mouvement porté dans les années 1990 par des chorégraphes comme Jérôme Bel, Xavier Le Roy, Alain Buffard, ndlr) qui y a germé, obligeant le corps à être utilisé d’une autre manière, plus conceptuelle et moins liée à la performance physique. Dans l’autre sens, on voit des plasticiens investir la scène : Ulla von Brandenburg, Théo Mercier, Apichatpong Weerasethakul, Virginie Yassef, Anne Le Troter, Louise Siffert… Cela se raccorde de manière naturelle.

Pour faire le lien, on pourrait évoquer votre pièce La Démangeaison des ailes, dans laquelle on pouvait déambuler comme dans une exposition.

En effet c’était une sorte d’installation dans la Ménagerie qui reconstituait un appartement. J’y avais invité un plasticien, Rodolphe Auté, on y lisait des textes d’histoire de l’art, un groupe de musique punk jouait… C’était un dispositif d’invitation qui rappelle le principe d’une exposition collective d’art contemporain. J’ai toujours aimé les dispositifs à prêter, à partager ou à activer : la question du lieu est toujours importante.

Comment, notamment dans le cadre d’un festival, exploiter la Ménagerie, avec ses différents espaces et niveaux, du « parking » sombre à la lumineuse salle de répétition sous verrière à l’étage ?

C’est d’abord un lieu de résidence très confortable pour les artistes, avec sa lumière, sa convivialité. Il y a à la Ménagerie un esprit d’université ouverte, d’école d’art, avec des gens qui travaillent, discutent, se croisent, parlent aussi de leurs conditions de travail. J’aimerais beaucoup, en relation avec le café, l'ouvrir aux débats, comme l’était La Colonie, à des revues, des radios, des étudiants – on a d’ailleurs accueilli l’hiver dernier une AG des écoles d’art mobilisées. Il y a un séminaire de psychanalyse liée aux questions queer qui réunit 80 personnes tous les mois. L’originalité de la Ménagerie de verre, c’est l’esprit de recherche, alors qu’à Paris il y a peu de lieux de travail pour les artistes. Beaucoup ont appris à travailler là, des plus jeunes aux plus âgés qui viennent y réadapter leurs pièces. Logés ici, les bureaux de plusieurs compagnies (François Chaignaud, Gaëlle Bourges) forment un pôle d’échange de ressources au-delà de la programmation même, qui est minoritaire dans l’activité, avec un tout petit budget.

La programmation des Inaccoutumés est très dense cette année : on y voit de la danse, de la performance, de la musique, des lectures de poésie, des films... Comment organiser tout cela ?

On se rend compte que beaucoup de formes d’expression passent aujourd’hui par la scène : on a invité la poétesse Laura Vazquez ou la théoricienne et militante Sandra Lucbert à venir lire leurs textes, qu’elles incarnent en public. C’est devenu désuet de séparer les catégories : c’est pourquoi on ne fera plus de distinction entre les Inaccoutumés et le festival de théâtre Étrange Cargo, qu’on organisait au printemps, ou encore des événements hors format, comme le cycle de projections consacré à Jean-Luc Godard, en décembre dernier, ou prochainement des films du festival Si Cinéma, organisé par l’école d’art de Caen. En revanche, la question d’accrocher des expositions est complexe, notamment pour des raisons d’ouverture, de coûts et d’assurances. Mais on ne s’interdit pas de proposer à un ou une plasticienne d’investir le bâtiment, d’en faire une sorte de train fantôme. Pour cela il nous faudrait des partenariats forts avec des centres d’art ou des mécènes.

Comment se démarquer dans la foisonnante actualité culturelle parisienne ?

Nous sommes en discussion pour accueillir des espaces qui doivent fermer pour travaux, comme le Centre Pompidou en 2025, et nous recevrons le Centre culturel suisse au printemps 2024. Aujourd’hui, les lieux d’art accueillent tous du spectacle vivant, on sent qu'il y a un besoin, notamment à Paris qui a explosé avec les fondations privées : celles-ci s’invitaient autrefois dans les lieux d’art, maintenant elles n’en ont plus besoin, elles ont leurs propres espaces. Il est vrai qu’on retrouve souvent les mêmes chorégraphes danser devant des tableaux au Louvre, à l’Orangerie ou à la fondation Cartier. Parfois les spectacles passent pour de l’animation ou sont très select, comme à la Bourse de Commerce, qui a une très bonne programmation. À la Ménagerie, on est sur un temps plus étendu, on veut apporter du soin. On va aussi présenter des livres, avec une librairie. Je réfléchis également à créer une sorte d’école, comme le fut le Pavillon au Palais de Tokyo qui mêlait les pratiques, mais dans une taille réduite et en formation continue. Une sorte de club Tupperware hybride où se retrouver et partager.

Philippe Quesne.
Philippe Quesne.
© Amélie Blanc.
Philippe Quesne, Crash Park Circus à la biennale de Lyon en 2019.
Philippe Quesne, Crash Park Circus à la biennale de Lyon en 2019.
© Blaise Adilon.
900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret à l’occasion de l’ouverture du festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de verre à Paris.
900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret à l’occasion de l’ouverture du festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de verre à Paris.
© Martin Argyroglo Callias Bey.
900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret à l’occasion de l’ouverture du festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de verre à Paris.
900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret à l’occasion de l’ouverture du festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de verre à Paris.
© Martin Argyroglo Callias Bey
900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret à l’occasion de l’ouverture du festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de verre à Paris.
900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret à l’occasion de l’ouverture du festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de verre à Paris.
© Martin Argyroglo Callias Bey
900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret à l’occasion de l’ouverture du festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de verre à Paris.
900 Something Days Spent in the XXth Century de Némo Flouret à l’occasion de l’ouverture du festival les Inaccoutumés à la Ménagerie de verre à Paris.
© Martin Argyroglo Callias Bey
Une des salles de la Ménagerie de verre à Paris.
Une des salles de la Ménagerie de verre à Paris.
© Romain Ricard.
La Ménagerie de verre à Paris.
La Ménagerie de verre à Paris.
© Romain Ricard.
La Démangeaison des ailes de Philippe Quesne à la Ménagerie de Verre en 2003.
La Démangeaison des ailes de Philippe Quesne à la Ménagerie de Verre en 2003.
© Philippe Garnier.

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