S’il existe une spécificité culturelle à l’art contemporain indien, pourtant emprunt de dialogues et de partages par-delà les frontières et les époques, elle tient, sans aucun doute, au rapport très spécial que le pays et ses habitants entretiennent avec le cinéma. Les amateurs indiens d'art contemporain qui se rendent dans les biennales et foires internationales, à la documenta de Kassel et dans les galeries de New York, Paris ou Londres, sont familiers avec Satyajit Ray, Palme d’or à Cannes en 1956, ou avec Mrinal Sen, des réalisateurs dont les œuvres ont été beaucoup montrées à l’étranger. Il s’agit d’un cinéma d’auteur ambitieux, pétri de références aux cinémas européens. Mais les artistes indiens, s’ils affectionnent aussi ces références, ont été, comme l’ensemble de leur concitoyens, bercés par l’idiome vernaculaire que constituent les films populaires, qui à leur tour nourrissent leurs œuvres. Ainsi, culture populaire, consommation de masse et production culturelle élitiste se trouvent mêlées dans un jeu de miroir.
Cadavre exquis du grand écran
Référence hégémonique, le cinéma populaire, souvent résumé au terme Bollywood – contraction entre Bombay, principal lieu de production, et Hollywood –, n’est pas le simple reflet des évolutions sociales et politiques de l’Inde. Dans le pays, les titres des films et les paroles des chansons sont utilisés comme accroches par les journaux, comme citations par les personnalités politiques. En 2004, P.C. Chidambaram, alors ministre des Finances, est ainsi sorti du Parlement, le budget à la main et, s’adressant à la presse, a lancé un « Mai hoon na » (« Je suis là ») rassurant, qui était également une référence au blockbuster de l'année avec la superstar Shah Rukh Khan. En 2014, Narendra Modi, qui briguait le poste de Premier ministre, avait utilisé comme slogan de campagne « Yeh dil maange more » (« Ce cœur en veut d’avantage »), une citation du film nationaliste Border, sorti en 1997. Cinq ans plus tard, en…