« Grève générale » : ces mots, qui résonnent aujourd'hui dans les rues de France, composent aussi le titre d'une œuvre célèbre de l'art du XXe siècle. General Strike Piece (1969) n'est qu'un bout de papier de 28 sur 21 centimètres griffonné au crayon de papier. Mais il condense toute la subversion du refus. Il n'est, dira-t-on, qu'une intention conceptuelle, et expose les contradictions de son autrice, l'artiste américaine Lee Lozano (1930-1999). Pour celle-ci, il s'agit en effet non pas de cesser l'art, mais de se retirer du « monde de l'art afin de poursuivre (sa) recherche d'une révolution totale, personnelle et publique ». Nuance importante. Ce monde alors, c'est celui, effervescent, du New York des années 1960 où Lee Lozano poursuit une carrière de peintre prolifique, sans fards et sans filtre malgré le machisme ambiant, dont elle moque la violence grotesque dans ses toiles et dessins d'armes-outils phalliques brossés large. La seconde discordance importante arrive en 1971 avec Boycott Piece : l'artiste décide de cesser de parler aux femmes, sans exception. Là encore, elle n'agit pas contre les femmes, mais contre le « monde des femmes », tel qu'imposé socialement. Cette position extrême, difficile à appréhender, se conclut en 1972 par la Dropout Piece, soit le retrait total de toute vie sociale, qui s'achève au début des années 1980 par le retour de Lee Lozano chez ses parents, au Texas, où elle continue à travailler, seule, poursuivant notamment ses Masturbation Investigations entamées vingt ans auparavant. Et une contradiction, en voici une autre : c'est la Pinacoteca Agnelli, à Turin, qui célèbre actuellement l'artiste dans une rétrospective resserrée. Intitulée « Strike », l'exposition se tient au sommet de l'ancienne usine Fiat fondée par la famille Agnelli, haut lieu de l'histoire ouvrière italienne et siège de grèves mémorables. Elle partira à l'automne pour Paris et la Bourse de Commerce, lieu symbolique lui aussi de l'histoire sociale, où s'est installé un autre magnat industriel, cette fois-ci François Pinault, à la tête d'une collection de 10 000 œuvres, dont une douzaine de Lee Lozano.
« Lee Lozano. Strike », jusqu'au 23 juillet 2023 à la Pinacoteca Agnelli, Turin, puis à la Bourse de Commerce - Pinault Collection, Paris, à partir du 20 septembre. pinacoteca-agnelli.it