Le Quotidien de l'Art

Politique culturelle

Handicap : des écoles d'art discriminantes

Handicap : des écoles d'art discriminantes
Sahara Azzeg, "C'est aux handicapéX de s'adapter à l'école et non à l'école de s'adapter aux handicapéX. La Direction", collage sur vitrine, 22 juin 2022, ESAD-TALM Angers.


© Sahara Azzeg.

Plusieurs exemples récents montrent que les écoles d'art ont encore d'énormes progrès à faire afin d'accueillir et d'accompagner les personnes en situation de handicap. Témoignages. 

« ''C'est aux handicapéX de s'adapter à l'école et non à l'école de s'adapter aux handicapéX." La direction » Cette phrase, l'artiste Sahara Azzeg l'a affichée en juin 2022, façon collage féministe, sur les portes vitrées de l'école d'art TALM-Angers. C'était à l'occasion de son diplôme d'études supérieures. Il a obtenu les félicitations du jury. Cette même phrase validiste (terme qui désigne la discrimination envers les personnes en situation de handicap, ndlr) lui fut adressée, ainsi qu'à une autre étudiante, lors d'une réunion avec la direction de l'école, à laquelle ils réclamaient l'accès aux salles de cours. Le jeune artiste raconte : « À Angers, certains ateliers ne sont pas accessibles en fauteuil, et je me retrouvais dans des situations pénibles : devoir attendre que quelqu'un passe pour installer la rampe permettant de franchir la volée d'escaliers, sonner une cloche pour qu'on me porte à l'étage. Je suis resté bloqué plusieurs fois… » En tant qu'établissement recevant du public (ERP), l'école a l'obligation légale d'être accessible aux personnes à mobilité réduite. Sahara Azzeg prend alors la décision d'alerter le défenseur des droits du Maine-et-Loire, qui a adressé un rappel à la loi à l'école d'Angers. Un an plus tard, celle-ci, située dans un bâtiment classé de la fin du XVIIIe siècle, n'est toujours pas entièrement aux normes, et l'accessibilité à une salle qui devait être rénovée a été refusée par la direction, affirme Sahara Azzeg. Résultat : « Certains étudiants en fauteuil ont renoncé à présenter leur candidature, d'autres ont changé d'établissement ». 

Interrogée, la directrice de l'école Anne-Hélène Frostin se souvient parfaitement de l'épisode du diplôme de Sahara Azzeg : « un moment traumatisant pour les équipes administrative et pédagogique ». Elle rejette la responsabilité sur la ville d'Angers, propriétaire de l'hôtel d'Ollone qui l'abrite. « On a jusqu'à fin 2024 pour être aux normes. Ces travaux se chiffrent en milliers d'euros, notamment pour l'ajout d'un ascenseur. Or nous ne sommes pas maîtres de l'espace, c'est la mairie qui décide, et c'est un sujet qui est plus ou moins entendu. Par ailleurs, la multiplicité des interlocuteurs ralentit la cadence. » Tandis qu'école et mairie doivent à nouveau se réunir en juin au sujet de la convention d'occupation des lieux, la directrice rappelle que TALM-Angers ne peut pas inviter les étudiants à s'orienter vers Tours ou Le Mans, ses deux sites frères, 100 % accessibles aux personnes en fauteuil. Une démarche discriminante, selon le défenseur des droits. Quant au ministère de la Culture ou à celui des personnes handicapées, ils sont dans cette affaire aux abonnés absents. « Ce n'est pas à nous de demander des aides », affirme Anne-Hélène Frostin, qui fait valoir les investissements massifs nécessaires à la réduction des coûts énergétiques exorbitants de cette architecture bicentenaire. « Quelle est la priorité ?, demande la directrice. Il est impossible de répondre à cette question... »

Un problème structurel

L’accompagnement d’élèves malades n'est pas non plus toujours une évidence. À Valence, comme dans beaucoup d'écoles, l’ESAD n’a pas de référent handicap. Dans un communiqué très relayé, rédigé avec le syndicat d'étudiants Le Massicot et l’association Les Mots de trop, Charlie (le prénom a été modifié, ndlr), qui y a étudié cinq ans, explique qu’elle n’a pas pu passer son diplôme car l’école aurait refusé d’accepter les aménagements qu’elle demandait. Elle précise : « Quelques semaines avant mon diplôme, en mai 2022, j’ai déclaré une névrite vestibulaire (inflammation du nerf de l'oreille interne, ndlr), probablement en raison d’un fort stress ». Prise de vertiges et vomissements, elle ne pense pas pouvoir être autonome pour son diplôme, en juin. « L’équilibre de mon corps a été touché, poursuit Charlie. Cela a provoqué des douleurs au dos et aux cervicales que j’ai mis du temps à soigner. J’avais peur pour mon diplôme alors j’ai tenté rapidement de joindre la direction pour m’organiser avec elle. » La direction pédagogique, à laquelle elle avait envoyé un certificat médical, aurait dans un premier temps accepté que l’étudiante lise son texte au lieu de le performer, comme prévu au départ. Recontactée deux semaines plus tard, elle entend un discours complètement différent : « On me dit que finalement je n’aurai pas d’aménagement ni d’accompagnement, que je n’étais pas malade les six mois précédents, et on remet en question ma résistance au stress », détaille Charlie.

Depuis la publication du communiqué, le mois dernier, l'ESAD a proposé à l'étudiante de passer son diplôme dans les conditions qu'elle avait demandées… Contactée, la directrice générale de l'école Amel Nafti explique que l'établissement « a trouvé une modalité d'accompagnement qui convient [à l'étudiante], elle passera son diplôme le 20 juin », avant d'ajouter : « Nous sommes conscients que nous pouvons encore nous améliorer ». De son côté, Charlie s'est battue pendant près d’un an pour obtenir réparation. Aujourd’hui elle regrette de ne pas avoir « remis le système en question quand il (la) privilégiait », et souhaite montrer « l’aspect structurel du problème ». 

Un travail à faire en profondeur

Clovis Maillet, professeur à Angers jusqu'en janvier dernier, témoigne : « À Angers comme ailleurs, il y a une autocensure des étudiantes et étudiants en situation de handicap, soit parce qu'ils et elles savent que les lieux ne peuvent pas les accueillir, soit parce que les procédures d'accueil sont mal communiquées et les personnels mal formés ». Il ajoute : « Il y a un travail en profondeur à faire dans les écoles d'art. Dans les universités il y a un pôle handicap, auquel chaque étudiant peut s'adresser, qui informe les enseignants des nécessités personnalisées de chacun ». L'accessibilité est plus facile dans les écoles bâties récemment, aménageables à moindre coût : la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances renforce les contraintes imposées aux propriétaires et aux constructeurs en matière d’accessibilité. Dans certains établissements, d'autres efforts sont faits. Ainsi depuis 2005 à Marseille, le programme pilote « Pisourd » de l'ESAMM permet aux étudiants sourds et malentendants d'avoir accès à des enseignements en langue des signes. À l'ESAAB de Quimper, l'artiste Virginie Barré est enseignante référente « dys » (pour les troubles cognitifs tels que dyslexie, dyspraxie, dysphasie…) pour accompagner les étudiants. Des cas encore rares en France, qui sont loin d'être la norme.

Sahara Azzeg.
Sahara Azzeg.
© Sahara Azzeg.
Post de l’association Les Mots de trop sur instagram.
Post de l’association Les Mots de trop sur instagram.
© Instagram / @les.mots.de.trop.
Le programme pilote « Pisourd » de l'ESAMM permet aux étudiants sourds et malentendants d'avoir accès à des enseignements en langue des signes.
Le programme pilote « Pisourd » de l'ESAMM permet aux étudiants sourds et malentendants d'avoir accès à des enseignements en langue des signes.
Photo : ESAMM.
Le programme pilote « Pisourd » de l'ESAMM permet aux étudiants sourds et malentendants d'avoir accès à des enseignements en langue des signes.
Le programme pilote « Pisourd » de l'ESAMM permet aux étudiants sourds et malentendants d'avoir accès à des enseignements en langue des signes.
Photo : ESAMM.
Anne-Hélène Frostin.
Anne-Hélène Frostin.
© LinkedIn.
L’hôtel d’Ollones à Angers qui abrite l’école TALM-Angers.
L’hôtel d’Ollones à Angers qui abrite l’école TALM-Angers.
Photo : Aurélia Le Goff, TALM, 2019.

Article issu de l'édition N°2607