C’est un serpent de mer, régulièrement évoqué par les politiques successives dans l’idée de créer une grande profession d’exécution du droit. Instaurée par la loi Macron de 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la fusion des commissaires-priseurs judiciaires et des huissiers de justice a pris son plein effet le 1er juillet dernier. Mais pour l’instant, seuls les ex-commissaires-priseurs judiciaires et les ex-huissiers de justice déjà en poste sont pleinement devenus des commissaires de justice. Celles et ceux toutefois qui ont réalisé la formation obligatoire, de 80 heures pour les premiers et 60 heures pour les seconds, dite « passerelle », délivrée depuis 2019 par la nouvelle Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) et ouverte jusqu’au 30 juin 2026. À défaut de l’avoir suivie avant cette date, les professionnels en exercice se verront donc destituer de leur fonction. L’objectif : former dans un temps record les commissaires-priseurs judiciaires au métier d’huissier de justice et inversement. Ainsi, de manière synthétique – puisque les compétences sont évidemment bien plus larges –, les premiers seront désormais habilités à faire des constats, tandis que les seconds pourront taper le marteau !
Inquiétudes
Au début, ce rapprochement avait tout d’un mariage forcé, surtout du point de vue des commissaires-priseurs judiciaires, au nombre de 418 contre un peu plus de 3 000 huissiers. « Notre métier va être relativement dilué, car les commissaires-priseurs judiciaires sont dix fois moins nombreux que les huissiers. Sur les échelles locales comme dans la représentativité, cette disparité va se ressentir », nous confiait il y a un an Juliette Jourdan, commissaire-priseur chez Ouest Enchères Publiques à Nantes et Rennes, présidente de la Compagnie des commissaires-priseurs d’Anjou-Bretagne et membre du conseil de surveillance d’Interencheres. Elle ajoutait : « Les huissiers de justice sont demandeurs depuis très longtemps de cette réforme, c’est eux qui en sont à l’initiative. On peut dire qu’on est une marque qu’ils se sont en quelque sorte offerte ».
De fait, le climat était alors pour le moins électrique puisque tout se jouait sur les modalités d’accès et d’exécution de cette nouvelle profession aux contours encore incertains. Certains craignent d’y perdre des plumes. Pour les opérateurs de ventes, c'est leur monopole et leur singularité qui est en jeu, tandis qu’une petite trentaine d’huissiers qui étaient encore autorisés à pratiquer des ventes volontaires en sont désormais déchus par la nouvelle loi. Ils devront désormais suivre la formation et passer l’examen ad hoc délivré par le Conseil des ventes volontaires (CVV).
Perspectives
« 90 % de nos activités sont encore sectorisées en fonction de nos anciens métiers respectifs. Mais les choses vont changer avec la nouvelle génération qui arrive », observe Agnès Carlier, commissaire de justice (ex-commissaire-priseur judiciaire), vice-présidente de la CNCJ. Cette nouvelle génération s’incarne dans la promotion 2023, toute première à obtenir le diplôme de commissaire de justice, délivré par le nouvel Institut national des commissaires de justice (INCJ) après deux ans de formation. Soit environ 80 étudiants, dont certains feront un an de formation en plus sous l’égide du CVV pour passer l’examen de commissaire-priseur s’ils le souhaitent. À l'inverse, « les étudiants du CVV qui ont réussi l’examen d’habilitation aux ventes volontaires pourront suivre une formation d’un an à l’INCJ pour devenir commissaires de justice, ce qui équivaut à six mois de plus par rapport à l’ancienne formation en judiciaire qui était exigée », indique Quentin Loiseleur, en charge des formations au CVV.
Une chose est sûre, la cartographie de la profession va en être bouleversée. « Chaque année, une trentaine de commissaires-priseurs étaient diplômés, là où cette année ils seront 70 nouveaux, issus des huissiers de justice. C’est un point sensible, car c’est une nouvelle concurrence, notamment dans les régions où un seul commissaire-priseur exerçait. De nouvelles maisons de ventes volontaires vont également se créer », explique Pierre Taugourdeau, juriste au CVV. Il est peu probable cependant que ce soit le raz-de-marée, les ADN des deux métiers originels restant bien distincts. Les chantiers d’amélioration des formations sont d’ailleurs en cours de réflexion. « C’est une profession à construire, il faut qu’elle s’incarne, ce sera long », abonde Agnès Carlier. Benoît Santoire, président de la CNCJ, y voit plutôt l’occasion de « créer des synergies communes », favorisées par l’élargissement des compétences. Comme par exemple, la création de sociétés qui réuniraient les différentes cordes d’expertise de cette nouvelle super-profession. De la saisie à la prisée.