Y a-t-il un pilote dans l’avion ? On peut se poser la question au sujet du projet de la Maison des mondes africains. Dans le sillage du dialogue renouvelé entre la France et les pays du continent voulu par Emmanuel Macron, le Président de la République faisait sienne la proposition issue du rapport du professeur sénégalais Achille Mbembe, et annonçait la création de cette Maison en octobre 2021. Un an et demi plus tard, personne ne semble avoir pris les commandes de cette future « référence pour tous ceux et celles qui s’intéressent à l’Afrique et/ou souhaitent y mener des projets », selon la définition de l’Élysée. Ni le lieu, ni le budget, ni le mode de financement ne semblent encore arrêtés. « Le projet s’enlise. Il est géré par le ministère des Affaires étrangères qui n’avance pas du tout. À ce stade, j’ai du mal à croire que le projet verra le jour car il n’est pas réellement porté par qui que ce soit », nous confie un acteur africain très impliqué dans les échanges culturels avec la France. Interrogé, le ministère de la Culture est resté muet malgré nos relances. L’annonce de la ministre dans son discours de vœux ne serait-elle qu’un leurre ?
Maison fantôme
Sans que les conclusions ne soient encore disponibles, une consultation en ligne a été menée en juillet 2022. Mais seul le « public jeune » était concerné et appelé à partager ses attentes et ses propositions. Luc Briard, diplomate du Quai D’Orsay, Liz Gomis, journaliste et productrice spécialiste de l’Afrique, un représentant du ministère de la Culture et un inspecteur des finances sont en charge de la préfiguration. Mais nulle autre personnalité ni structure ne semble avoir été associées à ce lieu pluridisciplinaire voué – sur le papier du moins – à accueillir des créateurs (arts, médias, influenceurs), entrepreneurs (tech, finance, économie sociale et solidaire), chercheurs, activistes et porteurs de projets solidaires. Selon nos informations, ni les gouvernements de Côte d’Ivoire ou du Bénin, ni le musée national du Mali ou le Palais de Lomé au Togo n’ont eu vent de ce projet, et n’ont donc été consultés. Alors que le projet s’inscrit dans la continuité de la Saison Africa2020, sa commissaire générale N’Goné Fall n’y a pas plus été associée.
De leur côté, les professionnels de musées français impliqués dans des projets de coopération avec les musées africains ont découvert le projet avec nos questions. « Je découvre ce projet dont personne ne m'a jamais parlé ! C'est étrange, je suis d'une manière ou d'une autre dans le circuit d'informations, et nos activités autour du continent africain dans notre région sont connues », regrette Émilie Salaberry-Duhoux, directrice des musées d’Angoulême travaillant étroitement avec le Mali. De même, si le musée du quai Branly a été entendu en audition lors de la phase de préfiguration l’an passé, il n’est pour l’heure pas associé au projet. Pourtant, l’activité culturelle promise pourrait se superposer en partie à celle déjà maîtrisée par l’institution parisienne, avec qui une articulation est plus que nécessaire pour une meilleure représentativité des cultures africaines en France.
Un manque à combler
« Toute initiative valorisant les échanges culturels est digne d’intérêt », lance Sonia Lawson, directrice du Palais de Lomé au Togo, avant de nuancer : « Tout dépend de ce que l’on y met. Les contours de ce projet restent pour l’instant un peu flous ». La mise en avant du dialogue étroit avec les entreprises privées européennes désireuses de faire des affaires en Afrique fait craindre au secteur culturel un outil économique dont les projets artistiques ne seraient que la caution. Pourtant, cette adaptation de la Maison de l'Amérique latine ou de l'Institut du monde arabe au continent africain serait bienvenue. « Dans les musées français se jouent en ce moment des tentatives de structuration de réseaux de travail de recherche avec les pays africains. Or, il manque un organe de centralisation et de coordination pour accompagner ces projets de coopération émergents, observe Émilie Salaberry-Duhoux. Il serait bien que les musées ne soient pas déconnectés d'une telle Maison et que toutes les sphères, entrepreneuriales et culturelles puissent s'y rencontrer, se fédérer ou se compléter mutuellement. Les projets y gagneraient en profondeur et efficacité ». À bon entendeur…