« Ça va exploser », souffle un fonctionnaire du ministère de la Culture. « C'est une mobilisation historique », s'exclame Hélène Giannecchini, professeure à l'école d'art de Poitiers, occupée depuis le 28 novembre. Abasourdie, elle raconte avoir appris, après cinq mois de rumeurs concernant des suppressions de postes et sans avoir obtenu de rendez-vous avec la direction, que son contrat ne serait sans doute pas renouvelé à la prochaine rentrée. En tout, d'ici 2026 à l'EESI d'Angoulême-Poitiers, ce sont 15 postes qui sautent, entre contrats non reconduits, départs à la retraite et fermetures définitives de postes vacants. Ainsi en septembre prochain, il n'y aura plus d'atelier volume à Angoulême. « Enseigner assure des revenus à beaucoup de travailleurs et travailleuses de l'art, souligne Hélène Giannechini. Cette perte d'emploi est catastrophique pour certains. » Elle ajoute : « Ce sont les plus précaires, en contrat à durée déterminée, qui sont lésés. Souvent des personnes jeunes et des femmes récemment embauchées, suite au rééquilibrage du tableau des emplois en majeure partie constitué d’hommes ».
Dans un grand nombre des 45 écoles d'art réparties sur le territoire français, le tableau est tout aussi noir. Et pour cause : leurs caisses sont vides, et l'enseignement de l'art en France en souffre. L'écosystème kafkaïen est un facteur majeur de la crise : la plupart des écoles sont sous tutelle pédagogique du ministère de la Culture, mais en financement mixte, avec villes, métropoles ou régions. D'autres facteurs sont conjoncturels. En premier lieu, l'inflation et les coûts galopants de l'énergie – les écoles étant des lieux de forte production. Mais aussi la non-compensation par l’État du dégel du point d’indice des agents de la fonction publique, qui entraîne une explosion de la masse salariale pour les collectivités territoriales, qui ont par ailleurs perdu avec la réforme de 2021 une partie des revenus de la taxe d'habitation.
En 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes a fait subir aux écoles de Lyon, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand et Annecy une baisse de subventions de 15 à 45 %. À Lyon, 100 000 euros se sont ainsi évanouis, tandis qu'à Saint-Etienne, les 180 000 euros retranchés par la région ont été compensés par la ville. Mais cette générosité n'est pas envisageable partout. L'Ésad de Valenciennes, l'une des plus anciennes écoles d'art de France, née en 1782, pourrait bientôt fermer, faute de soutien municipal — comme ce fut le cas à Perpignan en 2016. Dans un communiqué, étudiantes et étudiants expliquent cette « menace imminente » par des « coupes budgétaires répétées ces dernières années, causées par le retrait progressif de la ville de Valenciennes ». Une volonté clairement affichée par le maire et président de l’agglomération, Laurent Degallaix, qui fait valoir un déficit de 400 000 euros. Le coup de massue est venu le 5 janvier : le conseil d’administration de l’école a voté la suppression du concours d’entrée et son retrait de la plateforme…