Le Quotidien de l'Art

Marché Acteurs de l'art

Intelligence artificielle, web3 et art en entreprise

Intelligence artificielle, web3 et art en entreprise
Jean Gazançon (directeur d'Arte Generali), Sophie Perceval (co-dirctrice et co-fondatrice de Wondeur), Romanas Einikis (directeur général de la technologie d'Art Recognition), Farah Hamelin (responsable des partenariats stratégiques de Meta) et Adriano Picinati di Torcello (directeur chez Deloitte Art & Finance).
© Photo Yann Castanier.

Organisée par le Quotidien de l'Art, la quatrième édition de la conférence sur le marché de l'art a réuni plus de 350 acteurs du secteur le 6 décembre dernier au Centre Pompidou. Cinq tables rondes, des keynotes et un start-up village destinés aux professionnels du monde de l'art permettaient de comprendre et anticiper les transformations du marché. Retour en trois parties sur cette journée d'échanges et de rencontres : ce deuxième compte-rendu est consacré aux temps forts des tables rondes de l'après-midi.

Recommandation, authentification, valorisation : des technologies matures pour le marché ?

Modérée par Adriano Picinati di Torcello (directeur chez Deloitte Art & Finance), la première table ronde de l'après-midi a vu échanger Romanas Einikis (directeur général de la technologie, Art Recognition), Jean Gazançon (directeur d'Arte Generali), Farah Hamelin (responsable des partenariats stratégiques, Meta) et Sophie Perceval (cofondatrice et coprésidente, Wondeur) autour de l'apport de l'intelligence artificielle dans les techniques d'authentification et de valorisation des œuvres d'art.

Selon Jean Gazançon, « de plus en plus, les clients de nos services sont demandeurs vis-à-vis de l'intelligence artificielle. Nous devons nous assurer que nous apportons ces informations au public. » Un constat partagé par Sophie Perceval, dont l'entreprise s'est spécialisée dans le stockage et la mise à disposition de données sur les principaux artistes des XIXᵉ et XXᵉ siècles (expositions personnelles, collectives, acquisitions, publications...). S'appuyant sur l'intelligence artificielle, Wondeur rend accessible ses informations via une application, conçue en partenariat avec la compagnie d'assurances Arte Generali : « L'intelligence artificielle est un outil qui va améliorer l'expertise humaine et ne la remplacera jamais. Avant elle, nous avions des algorithmes, qui disaient à la machine ce qu'elle devait faire. Aujourd'hui, l'intelligence artificielle consiste davantage à aider la machine à apprendre par elle-même et à s'aider à trouver des modèles. » La start-up Art Recognition, spécialisée dans l'authentification d'œuvres, propose à ses clients une authentification entièrement basée sur l'intelligence artificielle, qui s'appuie uniquement sur une analyse photo. « La question de l'authenticité dépend de différentes expertises, provenant de différentes personnes. L'intelligence artificielle la rend aussi impartiale que possible », défend Romanas Einikis, toutefois conscient des failles de cette technologie. « Titien et Giorgione sont très similaires. Les différences se repèrent à un coup de pinceau. Dans certains cas, l'IA a du mal à détecter les subtilités. » Pour ceux qui préfèrent jouer les défricheurs et pister les artistes contemporains sur les réseaux sociaux, Meta (entité regroupant Facebook et Instagram) considère Instagram comme un levier important dans la découverte d'artistes, en particulier ceux qui s'investissent dans le metavers ou les NFT : « La découvrabilité est l'ADN d'Instagram, estime Farah Hamelin. Nous avons par exemple lancé récemment en Europe la plateforme Digital Collectible, permettant aux artistes d'exposer leurs NFT sur nos plateformes. »

Comment le marché de l'art s'engage-t-il dans le web3 ?

Animée par Jane Morris (contributrice à The Art Newspaper et consultante chez Cultureshock), la deuxième table ronde, dédiée à l'engagement du marché de l'art dans le web3, conviait 4 experts : Magda Danysz (fondatrice de la galerie Magda Danysz et d'Artcare), Thierry Jadot (président et cofondateur de Minteed, plateforme technologique investie dans la mise en relation des créateurs et des collectionneurs dans le Web3), Martin Vergne (chargé de gestion collective et des études à la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP)), et Michael Schuller (directeur technique chez Arcual, blockchain destinée à la communauté artistique, née d’une alliance entre Art Basel, la fondation LUMA et BCG X, entité Tech et Design de BCG).

Terme encore abstrait pour beaucoup, le web3 correspond à la troisième génération de services Internet, fondée sur un système de bases de données décentralisées, ou blockchains, et où les environnements virtuels (dits métavers), les systèmes de vote et de gouvernance (ou Decentralized Autonomous Organizations), ou encore la curation décentralisée, bourgeonnent. Le marché des NFT, encore bouillonnant en 2021, s'est avéré plus instable et fragile en 2022, poussant les collectionneurs d'art comme les institutions à plus de prudence. Comment les artistes, galeries et collectionneurs peuvent-ils aujourd'hui naviguer au sein de ces différentes plateformes ? Pour Thierry Jadot, « la force du web3 tient dans sa décentralisation et dans la multiplicité d'espaces que l'artiste peut explorer : les interactions entre lui et les collectionneurs, – dont les profils ont tendance aujourd'hui à se diversifier de plus en plus – deviennent plus directes et inscrites dans le marbre de la blockchain. Il encourage aussi les artistes à présenter leur travail dans un environnement éditorial et créatif qu'ils maîtrisent, et faire baisser les coûts. Toute la question réside dans la construction de leur audience. » Pour Michael Schuller, « La distinction entre web2 et web3 est très intéressante pour moi, car il ne s'agit que de marketing : le web3 est une manière différente de faire des affairesPour nous qui construisons des infrastructures numériques pour le monde de l'art, la confidentialité des données est extrêmement importante : il est dangereux d'avoir les données de transaction sur une plateforme moyenne. ». Dans un écosystème encore en construction, galeristes et musées cherchent à percer : « La volatilité du marché a certes endommagé l'image de cette industrie, mais les artistes sont toujours là et développent leur activité, affirme Magda Danysz. Je vois la blockchain comme une clé ouvrant la porte à de nouvelles expériences et communautés. On fait face à de nouveaux mécanismes financiers, de nouveaux dispositifs comme les smart contracts (qui attribuent la propriété du NFT, et peuvent transférer le jeton à de nouveaux propriétaires suite à une vente, ndlr). » Pour Martin Vergne, « les artistes peuvent prendre part à l'aspect légal de ces nouvelles pratiques et ces nouvelles manières d'être payé. Les marketplaces, elles, doivent s'assurer du traçage des transactions, et que les fraudes, que l'on chiffre actuellement à 18 % sur Opensea, soient filtrées. » Conscient d'évoluer dans un monde encore en construction, majoritairement investi par des personnes qui maîtrisent très bien les outils de la tech, Michael Schuller observe une tendance à l'entre-soi, et estime « que plus d'efforts doivent être faits pour conquérir d'autres publics et démocratiser le web3. Nous avons aujourd'hui l'opportunité d'améliorer le fonctionnement de ce marché, en donnant plus de contrôle aux artistes, en leur offrant la possibilité de définir le pourcentage qu'ils pourraient toucher à chaque revente opérée par une galerie. » 

L’art dans l’entreprise : une manne pour le marché ?

Pour finir la journée, une dernière table ronde animée par Armelle Malvoisin (contributrice au Quotidien de l'Art et au magazine Beaux Arts), s'est intéressée à la place que l'art tient au sein des entreprises. Claire Gastaud (fondatrice de la galerie éponyme), Philippe Lamy (fondateur de Barter), Fabien Vallérian (directeur Arts & culture chez Ruinart) et Edouard Challemel du Rozier (président et fondateur de Bail Art) ont analysé la façon dont l'art peut valoriser l'image des entreprises, mais aussi les bénéfices que représentent ces implications pour les artistes et le marché de l'art. 

Parmi les entreprises historiquement attachées à des partenariats artistiques figure le champagne Ruinart. « C’est la première entreprise privée à avoir fait appel à un artiste en 1896, Alphonse Mucha, a expliqué Fabien Vallérian, Il y a douze ans, le programme de commande annuelle "Carte blanche" a été mis en place. Il n'y a pas d’appel à projets : on identifie des artistes qui sont pertinents et, avec le président de Ruinart, on choisit. Les œuvres entretiennent un lien avec le territoire et la biodiversité de la région. Cette année, Nils Udo a créé des Habitats pour la faune locale - des grands nids pour insectes, oiseaux et petits mammifères - dans le vignoble de Taissy. Différents prix ont aussi vu le jour au fil des années - prix Ruinart Paris Photo, Ruinart Japan Award, pour lequel un photographe japonais est invité en Champagne. L'art fait partie de l’ADN de la maison. Les artistes apportent une autre façon de nous voir nous-mêmes et pour les équipes, c’est motivant de travailler avec les artistes qui viennent en résidence. » Avec son entreprise Bail Art (née en 2009, elle compte aujourd'hui plus de 1 000 clients), Edouard Challemel du Rozier souhaite « donner les outils pour faire le pont entre le monde de l’art et le monde de l’entreprise ». Si pour certaines, l'art est une niche fiscale, pour la plupart, l'engagement est réel avec des dirigeants passionnés d'art. « Le dispositif fiscal pour l’achat d’art par les entreprises (article 2238 bis du CGI) en témoigne, a indiqué Claire Gastaud, Depuis une dizaine d'années, il a permis d'inciter notamment de nombreuses PME. Sa poursuite est actuellement discuté et il est possible que ce dispositif prenne bientôt, ce que nous regardons d'un œil critique, car l'acquisition d'une œuvre n'est pas toujours facile pour des PME. » Il n'est toutefois pas impératif d'être une structure à gros budget pour participer à la dynamique entre la production artistique et le monde corporate. « Le leasing est une alternative à la loi sur le mécénat qui impose moins de contraintes. L’entreprise va louer l’oeuvre d’art sur une période déterminée avec, à la fin, une option d’achat. Le prix moyen d’achat est de 35 000 euros. Il s’agit de tout type d’entreprise où il y a une passion initiale pour l’art. Il y a une motivation interne (sublimer les bureaux), comme externe (message vers l’extérieur), a rapporté Edouard Challemel du Rozier, Nous développons aussi des démarches qui vont plus loin, comme par exemple des projets d'exposition dans l'idée d'utiliser l'art à des fins de communication. Nous remarquons en effet que la plupart des entreprises aujourd’hui initient des démarches pour soutenir leur RSE (responsabilité sociale et environnementale), allant dans le sens d'une pensée écologique. » L'intérêt croissant des entreprises pour l'art comme moyen de communication a également été noté par Philippe Lamy, à la tête de Barter, un club qui organise pour ses membres corporate des événements privés autour de l'art et/ou dans des lieux artistiques : « L'art est un moyen de refaire vivre le bureau et de donner envie aux gens de s'y rendre. Nous cherchons sur le premier et le second marché, en galeries et en ventes aux enchères pour proposer à nos clients des œuvres entre 5 000 et 150 000 euros. Pour des locations, le budget annuel des entreprises est d’environ 100 000 euros. Mais c'est toujours une question de dirigeants - ce sont eux qui initient ces locations et achats. Souvent, dans leur vie privée, ils sont déjà ou souhaiteraient devenir collectionneurs. »

                     

Michael Schuller (directeur Technique chez Arcual, Magda Danysz (fondatrice de la galerie Magda Danysz & Artcare) et Thierry Jadot (président et cofondateur de Minteed).
Michael Schuller (directeur Technique chez Arcual, Magda Danysz (fondatrice de la galerie Magda Danysz & Artcare) et Thierry Jadot (président et cofondateur de Minteed).
© Photo Yann Castanier.
Armelle Malvoisin (contributrice au Quotidien de l'Art et au magazine BeauxArts), Philippe Lamy (fondateur de Barter), Edouard Challemel du Rozier (président et fondateur de Bail Art), Claire Gastaud (fondatrice de la galerie éponyme) et Fabien Vallérian (directeur Arts & culture chez Ruinart).
Armelle Malvoisin (contributrice au Quotidien de l'Art et au magazine BeauxArts), Philippe Lamy (fondateur de Barter), Edouard Challemel du Rozier (président et fondateur de Bail Art), Claire Gastaud (fondatrice de la galerie éponyme) et Fabien Vallérian (directeur Arts & culture chez Ruinart).
© Photo Yann Castanier.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
© Photo Yann Castanier.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
© Photo Yann Castanier.

Article issu de l'édition N°2528