Depuis des années, l’économie de la création en Iran est très dépendante de la situation géopolitique du pays. Les sanctions n'ont « rien de nouveau, déclare Salman Matinfar, directeur de la galerie Ab-Anbar, basée à Londres. Elles se sont resserrées et renforcées, mais le marché continue de se développer ». Après l’accord international de 2015 sur le nucléaire, qui avait conduit à un relâchement de la pression contre l'Iran, le président Donald Trump a annoncé, en 2018, que les États-Unis se retiraient de l'accord et renforçaient leurs sanctions. En conséquence, les marchands d'art basés en Iran qui traitaient avec le monde entier n’ont plus été autorisés à envoyer ni à recevoir des virements internationaux.
Ces sanctions continuent de mettre en péril certaines galeries, mais à des degrés divers, « selon le volume de leurs échanges internationaux, notamment avec les États-Unis, estime Orkideh Daroodi, fondatrice de la galerie O à Téhéran, mais tout spécialement les marchands qui n'ont pas de compte bancaire à l'étranger ».
Une inflation galopante
Peu après la décision prise par Trump, l'économie iranienne s'est effondrée et l'inflation est devenue une préoccupation majeure. Selon Rozita Sharafjahan, directrice de la galerie Azad, à Téhéran, les sanctions ont eu pour effet de porter l'inflation à plus de 40 %, ce qui, pour elle, « est plus préoccupant que les restrictions sur les opérations bancaires et le commerce international ».
L'inflation dans le pays et la dévaluation du rial iranien par rapport à l'euro et au dollar « réduisent le pouvoir d'achat, ce qui a des répercussions sur les revenus des artistes locaux », explique Orkideh Daroodi. En particulier, du fait de l'inflation, les déplacements vers les foires internationales sont devenus onéreux, « même pour les galeries bien implantées et qui ont une forte présence à l’international, déclare Maryam Majd, codirectrice de la galerie Assar. En conséquence, l'art iranien n’est plus représenté à l’étranger que par les quelques galeries qui peuvent encore se permettre cette présence à l’étranger. »
Quand Rozita Sharafjahan s'est récemment vue rejeter sa demande de participation à une foire parisienne, elle a fait contre mauvaise fortune bon cœur. « Avec le marché noir des devises, dit-elle, ma participation m’aurait coûté dix ou vingt fois plus que pour une exposition normale. »
Le gouvernement iranien a également « imposé de sérieuses restrictions aux collaborations internationales en général, notamment aux acteurs du monde de l'art, explique Maryam Majd, de sorte que les collectionneurs et amateurs non iraniens peuvent difficilement venir en Iran. »
Un marché fermé
Il est difficile aussi de se frayer un chemin dans les méandres juridiques que les sanctions ont entraînés, certains marchands étant soumis à des restrictions qu'ils ne comprennent pas. Quand Orkideh Daroodi a voulu devenir membre de la plateforme en ligne Artsy, on lui a répondu que « ce n'était pas possible à cause des sanctions », alors qu'elle est citoyenne américaine. En raison des tensions géopolitiques actuelles, liées ou non aux sanctions, Salman Matinfar, pour sa part, a quitté le pays et installé sa galerie à Londres en 2020.
Toutefois, les sanctions contre l'Iran et leurs conséquences sur le marché de l'art local ont été en grande partie éclipsées par les manifestations contre le gouvernement iranien, qui occupent les rues de Téhéran et font l’actualité depuis plusieurs mois. « Le mouvement a complètement fermé le marché, déclare Salman Matinfar. Depuis trois mois, aucune galerie n’a ouvert. » Les transactions se font donc toujours de manière privée, essentiellement avec les collectionneurs locaux qui dominent déjà le marché.
Après avoir consulté ses artistes, Orkideh Daroodi a organisé l'un des premiers vernissages publics à Téhéran, arguant que « nous considérons nos activités comme un moyen de lutter », estime-t-elle. Rozita Sharafjahan, en revanche, a décidé de ne pas le faire « pour protéger le mouvement », explique-t-elle, et par respect pour ce qu'elle estime être une « scène artistique pas très propre [à Téhéran] ». Certains manifestants reprochent aux galeries d’entretenir des liens avec le gouvernement, mais la question n’est pas aussi simple. « Certaines galeries ont partie liée avec le régime et son système monétaire, déclare Maryam Majd, mais ce qu’affirment les manifestants n'est pas toujours vrai. » Selon Orkideh Daroodi, « depuis une vingtaine d’années, en l'absence d'institutions et de financements publics, les galeries privées ont beaucoup lutté pour maintenir en vie la scène artistique ».
Vernissage sans hijab
Du fait de la suspension des activités dans le secteur culturel – y compris dans le petit secteur que représentent les galeries –, les marchands ont beaucoup de mal à assurer une présence internationale équilibrée de l'art iranien. « Surtout par rapport au début des années 2000, ajoute Salman Matinfar, époque où les institutions et les musées en Occident s’intéressaient à l’Iran et étaient prêts à amplifier la voix des artistes iraniens ».
En conséquence, le monde de l'art donne aujourd’hui une « image très touristique de l'Iran », poursuit-il, mais la seule image qui compte vraiment est peut-être celle dont Orkideh Daroodi a été témoin lors d’un récent vernissage. « Personne ne portait le hijab », raconte-t-elle. Et les visiteuses et visiteurs se retrouvaient non pas pour manifester, mais pour parler « de tout, des œuvres qu'ils venaient de découvrir, autant que de questions politiques et sociales. »