Le Quotidien de l'Art

Marché Acteurs de l'art

Urgence écologique et jeunes générations

Urgence écologique et jeunes générations
Fabrice Bousteau (Beaux Arts & Cie) et Victoria Siddall (Frieze, Gallery Climate Coalition).
© Photo Yann Castanier.

Organisée par Le Quotidien de l'Art, la 4e édition de la conférence sur le marché de l'art a réuni plus de 350 acteurs du secteur le 6 décembre dernier au Centre Pompidou. Cinq tables rondes, des keynotes et un start-up village destinés aux professionnels du monde de l'art permettaient de comprendre et d'anticiper les transformations du marché. Retour en trois temps sur cette journée d'échanges et de rencontres. Aujourd'hui : les temps forts des deux premières tables rondes.

Donnant le coup d'envoi, une conversation entre Victoria Siddall (Frieze, Gallery Climate Coalition) et Fabrice Bousteau (Beaux Arts & Cie) a introduit les thématiques abordées tout au long de la journée. En premier lieu : l'écologie. Après avoir été à la tête de la foire Frieze, Victoria Siddall a cofondé il y a deux ans la Gallery Climate Coalition (GCC), qui réunit 800 membres dans 20 pays, dont 300 galeries, 120 institutions, des maisons de vente, des foires, des organisations à but non lucratif, et plus de 100 artistes, autour d'un objectif commun : réduire de 50 % les émissions de carbone en 2030, conformément à l'accord de Paris, et tendre vers le zéro déchet. « Nous avons réalisé que l'élément crucial pour réduire les émissions est d'abord de pouvoir les mesurer, explique Victoria Siddall. La première chose que nous avons construite est donc un calculateur de carbone qui se trouve sur le site web. La grande majorité des émissions des acteurs de l'art proviennent du transport d'œuvres. Nous travaillons actuellement sur des guides et ressources dédiés aux galeries, artistes et musées pour les conseiller en tout ce qui concerne les voyages, le transport, l'édition, le numérique, l'énergie des bâtiments... La majorité de notre attention est focalisée sur l'éducation en matière de transport maritime, en faisant pression sur les industries du transport maritime et les assurances pour rendre les tarifs maritimes plus accessibles aux galeries. » La discussion a également touché à la question de la viabilité des foires, dont l'empreinte écologique n'est pas négligeable. Face à des questions encore sans réponses que se posent les acteurs du marché, Victoria Siddall a expliqué : « Je pense que pendant le Covid, de nombreuses galeries se sont demandé si les foires d'art étaient vraiment nécessaires. Certaines galeries pensaient : "Nous pouvons vendre en ligne, faire le même travail sans voyager, ce ne sera plus jamais comme avant"... Mais il a été intéressant de voir les foires revenir en force. La demande est plus forte que jamais. Nous avons besoin de voir l'art et les gens en personne. Se réduire à un modèle de foires plus petites et locales n'est pas pensable non plus. S'il n'y avait que Frieze et Bâle, des centaines de galeries dans le monde n'auraient pas l'occasion d'exposer. Beaucoup de découvertes sont faites dans les petites foires. La diversité est essentielle. »

​Transition écologique: le marché en action

Suivant cette discussion d'introduction, la première table ronde était centrée sur l'écologie. Modérée par Marguerite Courtel, cofondatrice du collectif d'experts du monde de l'art et de l'économie circulaire Les Augures, qui accompagne et conseille les acteurs culturels dans leur transition écologique, elle réunissait Fanny Legros (cofondatrice de Plinth et fondatrice de Karbone Prod.), Guillaume Piens (directeur de la foire Art Paris), Christophe Piette (directeur général de Chenue) et Jocelyn Wolff (fondateur de la galerie éponyme). Ils ont abordé la question de la soutenabilité et des limites du marché de l'art face aux problématiques engendrées par la crise climatique, et esquissé des solutions pour réduire l'impact carbone du marché, notamment en ce qui concerne le transport et l'organisation de foires. 

« Nous sommes dans une période inflationniste, et le marché de l’art y sera forcément confrontré. On sait que la Commission européenne travaille sur de nouvelles taxations, des avions notamment. Il est certain qu'un durcissement des réglementations et des contraintes économiques sont à prévoir. Les catastrophes naturelles sont de plus en plus importantes, cela engendre des coûts qui vont aussi se répercuter sur les assurances », note Fanny Legros, qui a conseillé entre autres Art Paris dans la réduction de son empreinte carbone. « Nous avons analysé les impacts directs : ceux liés à la production, l’installation, la désinstallation de la foire... Avec des données récoltées sur deux ans (2021 et 2022), nous avons pu comparer et montrer qu'avec une bonne analyse en amont, on peut réduire en aval les impacts. Les déchets de la foire ont été réduits de 40 %, grâce au remploi du coton gratté en isolant pour le BTP, au remploi des moquettes, des plinthes, au passage d'halogènes à des LEDs (baisse de 37 % de la consommation énérgétique). » Ce à quoi Guillaume Piens a ajouté : « Nous avons également dû revoir nos services : les voitures étaient électriques, les bouteilles en plastique ont été bannies, les coupes de champagne fabriquées en amidon de maïs recyclé. Et ce n’est que le commencement. En 2023, nous allons former et sensibiliser davantage nos équipes, rechercher de nouveaux matériaux pour remplacer le coton gratté, et repenser la mobilité des publics et des exposants avec des systèmes de navettes et de mutualisation des transports. » Parmi les éléments clés d'une foire, le transport des œuvres est coûteux en empreinte carbone. « Avant de maigrir, il faut se peser. L’entreprise Chenue est très ancienne et intervient dans toutes les étapes du transport d’art - nous avons au total 100 000 m2 de stockage, a expliqué Christophe Piette. Nous avons d'abord calculé notre bilan carbone - en 2021, 15 600 tonnes de CO2 -, puis commencé par une analyse du cycle de vie sur trois types d’emballages : caisse standard, ISO et simple tamponnage. L'idée est de revenir à des pratiques plus éco-responsables en aidant nos clients à prendre les bonnes décisions grâce à des données concrètes que nous pouvons leur présenter. Quand on fait un Paris-Paris par exemple, un tamponnage suffit. Un élément de succès est de savoir comment vous embarquez vos collaborateurs dans cette aventure ». Un avis partagé par le galeriste Jocelyn Wolff : « La dimension collective est importante, car c’est difficile pour une petite structure de gérer tout. Les associations professionnelles de galeries doivent s’engager dans des groupes de travail. À l'échelle individuelle d'une galerie, il s'agit de repenser la production d'œuvres. Notre relation avec les artistes est au cœur de notre pratique et nous devons demander : est-ce qu’on accepte de mettre au monde telle œuvre ? Est-ce qu’elle a une qualité suffisante pour être conservée jusqu’à la nuit des temps? Car un objet d’art doit être extrêmement durable, et il ne faut pas oublier que ce n’est pas parce qu’un artiste parle d’écologie que cela reflète un engagement. Une autre chose clé est d'avoir une personne responsable exclusivement de la mise en pratique des bons gestes à la galerie. Une sorte de veille permanente, essentielle pour avancer sur la question écologique au quotidien. »

Comment millennials et génération Z bouleversent le marché

Modérée par Alison Moss (journaliste et cheffe de rubrique au Quotidien de l'Art), la seconde table ronde de la matinée a été l'occasion pour Emmanuel Tibloux (directeur de l'EnsAD) et Everette Taylor (ex-Chef Marketing Officer d'Artsy, PDG de Kickstarter) d'apporter leurs points de vues respectifs, des deux côtés de l'Atlantique, sur la diversité des profils de deux générations aux préoccupations singulières, artistes, collectionneurs, ou les deux à la fois : les millennials, nés entre 1984 et 1996, et la génération Z, née entre 1996 et 2010. Tandis que le rapport sur le marché de l'art Art Basel 2021 a défini les collectionneurs millennials comme les plus dépensiers en matière d'art en 2020 (30 % ayant dépensé plus d'un million de dollars en art, avec une dépense moyenne de 228 000 dollars), et que les collectionneurs de la génération Z ont dépensé plus de 30 % de leur valeur nette pour acheter de l'art, quelles sont leurs motivations en tant que nouvelles parties prenantes du marché ? Comment les artistes, eux, cherchent aujourd'hui à se positionner ?

 « Aujourd'hui, la jeune génération d'artistes se retrouve dans une situation paradoxale, observe Emmanuel Tibloux : s'ils sont conscients que choisir une école d'art va les aider à se positionner sur le marché post-diplôme, d'autres estiment que leur travail ne se prête pas au marché. Certains sont tentés par l'idée de court-circuiter le système, de s'autoproduire complètement, à la manière du groupe de rap PNL. Les galeries ne sont plus le seul endroit où les artistes veulent s'épanouir... Il est donc fondamental de développer des espaces intermédiaires, via des figures de passeurs et d'éclaireurs faisant le lien entre le marché et la jeune scène : des dispositifs comme « 100 % l'Expo » à la Villette, le Salon de Montrouge ou Un dimanche à la galerie ont déjà commencé ce travail. » Pour Everette Taylor, les galeries attirent toujours la génération Z, mais la voie de l'indépendance, facilitée par l'avènement des réseaux sociaux et de plateformes comme Artsy ou Artnet, attire de plus en plus des jeunes créateurs ne supportant plus les rapports de domination et la pression induite par le marché. Séduits par des collaborations avec des institutions ou des marques, ils en définissent eux-mêmes les cadres, endossant parfois le rôle de curateur en montant leurs propres expositions. « Le marché de l'art tient fort à sa réputation d'industrie la plus secrète du monde. La génération Z, elle, a de nouvelles attentes : elle veut davantage de transparence. Le monde de l'art ne paie pas bien, ce sont de longues heures, les gens se font intimider... La nouvelle génération ne va pas accepter cela. ». Un avis partagé par Emmanuel Tibloux : « S’il y a un affect qui caractérise la nouvelle génération, c'est vraiment l’empathie. C’est à partir de cette position que la jeunesse ne supporte plus la maltraitance. Se pose la question de l’exemplarité pour répondre à cette forme d’empathie. Sincérité, aussi, au moment des engagements. De quelle forme d’empathie le marché est-il capable ? Je pense qu’il n’y a pas d’avenir possible pour un marché qui soit en prise avec les jeunes générations si les acteurs ne se posent pas cette question. ». Très sensibles à la crise climatique et énergétique, impactés par la hausse des coûts des matières premières, les acteurs des nouvelles scènes sont aussi préoccupés par leurs conditions de création : « Beaucoup de jeunes artistes ont conscience que le modèle de l'expérimentation, modèle de modernité se fondant sur un rapport aux ressources infinies, n'est plus possible car pour la première fois, les conditions de vie sur terre sont de plus en plus dégradées. », observe Emmanuel Tibloux. Ces sensibilités infusent également les choix des jeunes collectionneurs : les Gen Z, moins argentés que leurs aînés millennials, « achètent plus au coup de coeur, selon Everette Taylor. Ils vont soutenir des artistes qu'ils aiment pour leur style, leur engagement dans une cause particulière, qu'elle soit écologique, antiraciste ou féministe. Les achats des millennials sont beaucoup plus guidés par les tendances du marché, qui parfois s'emballe très vite pour les jeunes artistes, et met les collectionneurs sous pression. Pour les millennials plus fortunés, il s'agit surtout de jouer le jeu de l'acheteur et d'investir avant que les prix ne s'envolent trop ! ». Dans un marché toujours plus dominé par la spéculation, Emmanuel Tibloux considère qu'un repositionnement est possible pour soutenir les jeunes artistes : « Le marché pourrait aller plus loin dans les initiatives vertueuses, en s’inspirant par exemple de ce qui se passe dans le milieu du football professionnel, où la FFF reverse une partie des droits télé à l’ensemble des clubs amateurs. On pourrait imaginer un modèle où les galeries verseraient leurs taxes d'apprentissage aux écoles d'art, de telle sorte que le marché contribue à la formation des artistes dont il a besoin pour tourner. ».

Fabrice Bousteau (Beaux Arts & Cie) et Victoria Siddall (Frieze, Gallery Climate Coalition).
Fabrice Bousteau (Beaux Arts & Cie) et Victoria Siddall (Frieze, Gallery Climate Coalition).
© Photo Yann Castanier.
Marguerite Courtel (cofondatrice du collectif Les Augures), Fanny Legros (co-fondatrice de Plinth et fondatrice et Carbone), Christophe Piette (directeur général de Chenue), Guillaume Piens (directeur de la foire Art Paris),  et Jocelyn Wolff (fondateur de la galerie éponyme).
Marguerite Courtel (cofondatrice du collectif Les Augures), Fanny Legros (co-fondatrice de Plinth et fondatrice et Carbone), Christophe Piette (directeur général de Chenue), Guillaume Piens (directeur de la foire Art Paris), et Jocelyn Wolff (fondateur de la galerie éponyme).
© Photo Yann Castanier.
Marguerite Courtel (cofondatrice du collectif Les Augures), Fanny Legros (co-fondatrice de Plinth et fondatrice et Carbone), Christophe Piette (directeur général de Chenue), Guillaume Piens (directeur de la foire Art Paris),  et Jocelyn Wolff (fondateur de la galerie éponyme).
Marguerite Courtel (cofondatrice du collectif Les Augures), Fanny Legros (co-fondatrice de Plinth et fondatrice et Carbone), Christophe Piette (directeur général de Chenue), Guillaume Piens (directeur de la foire Art Paris), et Jocelyn Wolff (fondateur de la galerie éponyme).
© Photo Yann Castanier.
Marguerite Courtel (cofondatrice du collectif Les Augures), Fanny Legros (co-fondatrice de Plinth et fondatrice et Carbone), Christophe Piette (directeur général de Chenue), Guillaume Piens (directeur de la foire Art Paris),  et Jocelyn Wolff (fondateur de la galerie éponyme).
Marguerite Courtel (cofondatrice du collectif Les Augures), Fanny Legros (co-fondatrice de Plinth et fondatrice et Carbone), Christophe Piette (directeur général de Chenue), Guillaume Piens (directeur de la foire Art Paris), et Jocelyn Wolff (fondateur de la galerie éponyme).
© Photo Yann Castanier.
Alison Moss (journaliste et cheffe de rubrique au Quotidien de l'Art), Emmanuel Tibloux (directeur de l'EnsAD) et Everette Taylor (ex-Chef Marketing Officer d'Artsy, PDG de Kickstarter).
Alison Moss (journaliste et cheffe de rubrique au Quotidien de l'Art), Emmanuel Tibloux (directeur de l'EnsAD) et Everette Taylor (ex-Chef Marketing Officer d'Artsy, PDG de Kickstarter).
© Photo Yann Castanier.
Alison Moss (journaliste et cheffe de rubrique au Quotidien de l'Art), Emmanuel Tibloux (directeur de l'EnsAD) et Everette Taylor (ex-Chef Marketing Officer d'Artsy, PDG de Kickstarter).
Alison Moss (journaliste et cheffe de rubrique au Quotidien de l'Art), Emmanuel Tibloux (directeur de l'EnsAD) et Everette Taylor (ex-Chef Marketing Officer d'Artsy, PDG de Kickstarter).
© Photo Yann Castanier.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
© Photo Yann Castanier.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
© Photo Yann Castanier.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
© Photo Yann Castanier.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
© Photo Yann Castanier.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
4e édition de The Art market day, le 6 décembre 2022 au Centre Pompidou.
© Photo Yann Castanier.

À lire aussi


Édition N°2907 / 08 octobre 2024

30 000 €

La dotation du prix Her Art à Art Paris

Par Jade Pillaudin


Les galeries françaises à la conquête de Frieze Séoul
Article abonné

Art Paris précise les contours du nouveau prix BNP Paribas
Article abonné

Article issu de l'édition N°2523