Le Quotidien de l'Art

Marché

Les cryptomonnaies, nouveau champ des possibles pour le marché de l'art

Les cryptomonnaies, nouveau champ des possibles pour le marché de l'art
Sabrina Ratté, " Winter garden ".
Courtesy de l'artiste et de la Galerie Charlotnft.

En France, si les galeries d’art semblent encore frileuses, les maisons de vente observent avec intérêt les cryptomonnaies, promesses de nouveaux marchés. 

Depuis six mois, les cryptoactifs dévissent. Mais ce bear market (marché en baisse, ndlr) n’est pas le premier sur la planète « crypto », dont les consommateurs sont habitués à la volatilité. Malgré ce revers, plusieurs indices profilent un écosystème en développement. Une étude récente de KPMG France indique l’intérêt croissant des Français pour les cryptomonnaies : 8 % ont déjà investi, un chiffre désormais supérieur à la part de Français, soit 6,7 %, détenant des actions en propre. Un rapport de la société Triple A, spécialisée dans la blockchain, chiffre à 320 millions les détenteurs de cryptomonnaies dans le monde, trois fois plus qu’en 2020. Au vu de cet état des lieux, comment se placent les acteurs du marché de l’art ? 

Lucie-Eléonore Riveron, co-fondatrice et présidente de la maison de vente FauveParis, et aujourd’hui dirigeante de la NFT Factory, a été la première à organiser une vente aux enchères publiques de crypto art en France, le 10 mars dernier, bousculant non sans mal le secteur. En même temps, une loi ouvrait la vente de biens incorporels – auparavant uniquement autorisée dans un cadre judiciaire – aux ventes volontaires. « Depuis janvier 2022, FauveParis accepte les cryptomonnaies pour l’achat de tout bien vendu par la maison », précise-t-elle, soulignant cependant : « Les ventes aux enchères sont très régulées en France, et donc légalement tenues d’avoir un compte séquestre classique qui ne peut être un portefeuille en cryptomonnaies. C’est pourquoi nous passons par une solution technologique qui permet la conversion monétaire, car pour les NFT, les achats se font majoritairement en cryptomonnaies ».

Un frein que souligne aussi un rapport commandé en janvier 2022 du Conseil des ventes volontaires rédigé par Cyril Barthalois : « Les ventes de NFT qui s’opèrent quotidiennement dans le monde sont essentiellement payées en cryptomonnaies. Empêcher les maisons de ventes françaises, le moment venu, d’accepter ce moyen de paiement, constituerait un frein considérable au développement de ce marché ». Le secrétaire général de l’Académie des Beaux-Arts recommande que « les autorités compétentes, politiques et administratives, se saisissent rapidement de ce sujet afin d’accompagner le développement des cryptomonnaies qui semble inévitable, et de le concilier avec l’obligation du compte de tiers ». 

Les enchères vers le Web3

Cela d’autant plus si les maisons de vente françaises veulent jouer dans la cour des grands. Chez Sotheby’s, en un an, les ventes de NFT – principalement tenues à New York – ont attiré 78 % de primo-acheteurs dont la moitié ont moins de 40 ans. Il y a un an, la maison de vente lançait Sotheby's Metaverse, sa plateforme dédiée aux collectionneurs d'art numérique, acceptant les paiements en cryptomonnaies (Ethérum, Bitcoin, USDC). « Paris s’impose comme un centre européen pour les cryptos, notamment parce que la France est un vivier de start-up dans ce domaine. N’oublions pas que nous sommes les créateurs du droit de suite et que la loi française de 2019 sur les actifs numériques sert de base actuellement au projet de règlement européen MICA sur les crypto-actifs », observe Brian Beccafico, spécialiste NFT Europe recruté en août par Sotheby’s.

Cet encadrement législatif doit répondre à des attentes du point de vue fiscal, du droit d’auteur et de la finance décentralisée dans la blockchain (DeFi), en particulier pour l’amélioration des smart contracts. Un chantier sur lequel se penche aussi l’ADAGP (société française chargée de la perception et de la répartition des droits d'auteur dans arts plastiques et graphiques, ndlr) et qui pourrait changer la donne en rassurant les investisseurs et en encadrant les artistes du Web3. Christie’s a déjà sauté le pas en annonçant le 27 septembre le lancement de Christie’s 3.0, première plateforme d’enchères intégrées dans la blockchain et Sotheby’s devrait suivre le mois prochain, signes d’une installation durable sur le marché des NFT. Et dans le Web3, pas question de ne pas avoir de wallet !

Du côté des galeries

En mai dernier, Larry Gagosian a surpris en prenant le virage des NFT, lui qui avait déclaré au Wall Street Journal « ne pas y connaître grand-chose ». Sa galerie annonçait accepter les paiements en cryptomonnaies. Un an plus tôt, la galerie Pace et le galeriste Vito Schnabel lançaient leur propre plateforme NFT tandis qu'Almine Rech réalisait des éditions numériques d’œuvres d’artistes de sa galerie, commercialisées via la plateforme Nifty Gateway, confiant cependant se sentir un peu « dépassée par l’intérêt des monnaies décentralisées ».

Un sentiment que l’on retrouve chez plusieurs galeristes dont la clientèle n’est pas initiée aux mondes de la blockchain ni du crypto art. « Les nouveaux collectionneurs sont dans le Web3 aujourd’hui. C’est pourquoi les galeristes devraient essayer de représenter les artistes NFT avec une démarche curatoriale, car il y a un nouveau marché à prendre », analyse Brian Beccafico. Terrain que la galerie Magda Danysz explore en annonçant représenter des artistes NFT. Avis partagé par Caroline Vossen, fondatrice de l’Avant-Scène galerie, pionnière sur le terrain du crypto art qu’elle développe avec l’artiste Albertine Meunier, spécialiste de la question : « Le rôle de la galerie doit être repensé au regard du crypto art et des cryptomonnaies ».

De son côté, Valérie Hasson-Benillouche, directrice de la galerie Charlot, lance sa plateforme de vente de NFT le 29 octobre avec une vente aux enchères d’œuvres qu’elle a sélectionnées. « J’ai choisi la cryptomonnaie Tezos car c’est une des moins énergivores », explique-t-elle. Le train de l’innovation est-il en marche ? Encore faudrait-il que l’utilisation d’une wallet soit plus claire, tant d'un point de vue comptable que fiscal. 

Lucie-Eléonore Riveron, co-fondatrice et présidente de la maison de vente FauveParis.
Lucie-Eléonore Riveron, co-fondatrice et présidente de la maison de vente FauveParis.
© Cyril Bruneau.
Vente aux enchères de NFT « The Burnt Auction », organisée par FauveParis, le 10 mars 2022.
Vente aux enchères de NFT « The Burnt Auction », organisée par FauveParis, le 10 mars 2022.
Courtesy FauveParis.
Cyril Barthalois, secrétaire général de l'Académie des Beaux-Arts.
Cyril Barthalois, secrétaire général de l'Académie des Beaux-Arts.


Photo Laurence Laborie.

Brian Calvin, NFT Screen Test (Pearl), 2021.
Brian Calvin, NFT Screen Test (Pearl), 2021.
Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine Rech.
Home page de Sotheby's Metaverse.
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Capture d'écran https://metaverse.sothebys.com.

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