Rosa Bonheur et l'âme des animaux
Le profil doux d’une lionne endormie. Les bois luisants d'un cerf en majesté. Les pattes duveteuses d’un chat indolent. La mine mi-boudeuse mi-mélancolique du basset hound. Le regard interrogateur d’un goupil. Les gorges dégoulinantes de taureaux traversant dans la brume matinale un lac des Highlands, dont on devine les naseaux fumants. La puissance évocatrice de l'œuvre de Rosa Bonheur (1822-1999) se niche dans les détails. Celle qui fit passer la peinture animalière d’un genre mineur à un art majeur renouvela inlassablement au cours de sa vie sa quête de captation de la sensibilité animale, pour en révéler l’intelligence, se départissant de l’étude purement anatomique. Aussi farouchement attachée à sa liberté que ses sujets, elle leur donne vie sur tous les formats, de l’esquisse ciselée aux toiles monumentales. La peintre et sculptrice native de Bordeaux, à qui le musée des Beaux-Arts consacre sa première rétrospective depuis 1997 à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, parcourut sans cesse marchés aux chevaux, abattoirs ou spectacles de Buffalo Bill en pantalon, faisant toujours fi des conventions. Fine observatrice, elle retranscrit avec justesse la souffrance animale, dont on faisait peu de cas à l’époque : on la retrouve dans la cambrure torve d'un équidé affolé, au centre de l'une des œuvres les plus appréciées à son époque, Le marché aux chevaux (1852-1855), conservé au Metropolitan de New York. Le MusBA expose pour la première fois un impressionnant dessin préparatoire, récemment redécouvert au château de By, demeure adorée de Rosa Bonheur aux abords de la forêt de Fontainebleau. Célébrée et distinguée de son vivant, courtisée par les marchands anglo-saxons, Knoedler en tête, elle bénéficie d'une postérité plus relative en France qu'Outre-Manche et Outre-Atlantique, qui a reconnu son talent hier et l'érige en icône féministe et LGBTQI+ aujourd'hui. L'exposition, bien que dévolue à faire redécouvrir la virtuosité de l'artiste, offre par ailleurs des focales éclairantes sur sa personnalité (son sens de l'humour, notamment) et les femmes de sa vie, sa compagne Nathalie Micas et son amie des dernières années et légataire, Anna Klumpke.
« Rosa Bonheur », Musée des beaux-arts de Bordeaux, jusqu'au 18 septembre, www.musba-bordeaux.fr