Alors que la 15e édition de Documenta était inaugurée vendredi 18 juin, la manifestation quinquennale dont la direction artistique est assurée par le collectif d'artistes indonésiens Ruangrupa, avait d'ores et déjà rencontré son lot de controverses. Fin avril, plusieurs autocollants sur lesquels était inscrit « Solidarité avec Israël » avaient été trouvés sur les murs de la Ruruhaus, devenue centre d'accueil et d'information le temps de l'événement. Le 27 mai, des vandales s'étaient introduits dans les locaux du WH22 où sont présentées les œuvres du collectif palestinien The Question of Funding et en avaient tagué les murs. Très critique au sujet de l'occupation israélienne, The Question of Funding est accusé d'être rattaché au mouvement « Boycott, désinvestissement, sanctions » (BDS) dans un texte signé de l'« Alliance contre l'antisémitisme à Cassel », publié sur un blog anonyme. Or, BDS est considéré en Allemagne comme un mouvement antisémite depuis 2019 et le parlement allemand a acté qu'il ne pouvait pas toucher d'argent public – environ la moitié du budget de Documenta, soit 42 millions d'euros, provient de l'Etat fédéral. Mardi 21 juin, l'attention s'est portée sur un autre collectif et une œuvre en particulier, People's Justice, réalisée en 2002 par le collectif indonésien Taring Padi, dont certains membres ont lutté contre la dictature militaire de Suharto. Longue de 18 mètres et située face au Staatstheater de Cassel, la vaste installation comportant plus d'une centaine de figures est une représentation caricaturale de la résistance politique. Deux des personnages ont déclenché l'indignation : l'un d'eux est un soldat à tête de cochon, portant un foulard avec l'étoile de David et un casque sur lequel est inscrit « Mossad » (le service de sécurité israélien) – d'autres membres de services de renseignement ont été identifiés, notamment de l'agence britannique MI5 et du KGB. L'autre personnage est un homme avec des papillotes et des dents aiguisées, coiffé d'un chapeau floqué de l'emblème nazi. D'abord recouverte de tissu noir, l'œuvre a été démontée le 21 juin, l'Amabssade d'Israël en Allemagne et plusieurs associations estimant qu'elle déclenchait « des lectures antisémites ». De nombreuses réactions ont suivi. La ministre allemande de la Culture Claudia Roth a déclaré dans un communiqué qu'il était « grand temps que cette fresque, qui présente des éléments picturaux antisémites, soit retirée ». Le chancelier Olaf Scholz a annulé sa visite de Documenta, qualifiant l'œuvre de Taring Padi d'« abominable », et le Centre de formation Anne Frank, basé à Francfort, affirme que People's Justice est « clairement antisémite et n'aurait jamais du être présentée ». L'organisation appelle cependant à « regarder vers l'avant. C'est la mission de Documenta que d'établir un dialogue avec le public et les quelque 1500 artistes du monde entier afin que le débat ne s'envenime pas davantage. » Plusieurs voix appellent à la démission de la directrice générale de l'événement, Sabine Schormann, qui va examiner l'ensemble des expositions afin de voir si elles ne comportent pas d'autres « œuvres critiques ». De son côté, Taring Padi explique que l'œuvre n'est « pas censée être liée de quelque manière que ce soit à de l'antisémitisme », et qu'elle est un commentaire sur le « militarisme et la violence » que les Indonésiens ont connus pendant 32 ans de dictature.