Daniel Druet contre Maurizio Cattelan, tel est le contentieux qui fait couler l’encre depuis plusieurs semaines et divise les professionnels de l’art (voir le QDA du 16 mai 2022). Celui-ci est simple : le sculpteur Daniel Druet revendique la paternité exclusive sur un ensemble de modèles en cire qu’il a exécutés, entre 1999 et 2006, à la demande de l’artiste Maurizio Cattelan qui les a ensuite mises en scène. Ce litige, qui n’est pas sans rappeler celui de l’affaire ayant opposé en 2008 Bettina Rheims et Jakob Gautel (ce dernier avait obtenu gain de cause dans le procès pour contrefaçon, ndlr), marque un brutal retour de l’art conceptuel devant les prétoires, non sans inquiéter artistes et galeristes. En son sein une question fondamentale : qui est, en droit, l’auteur d’une œuvre d’art ?
Auteur, une introuvable définition
À suivre l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Malheureusement, la notion d’« auteur » n’est pas définie par la loi et cette qualité est rattachée à l’existence d’une « œuvre de l’esprit », soit une création qui résulte d’une activité intellectuelle ou artistique, qui revêt toute forme d’expression et a un caractère d’originalité. Afin d’identifier le titulaire originel des droits, le législateur a posé une présomption, à l’article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, selon laquelle « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». Si un auteur peut consentir à ce que l’œuvre soit divulguée sous le nom d’un autre, il lui sera toujours possible d’y mettre fin en révélant sa paternité mais il devra prouver son rôle dans le processus de création. En effet, cette présomption de titularité peut être renversée, si d’autres auteurs présumés démontrent un apport effectif à la création de l’œuvre.
Il est vrai que l’œuvre de collaboration est « l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » selon l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle. C’est ainsi que la cour d’appel de Paris a estimé, en 2004, que l’artiste Alberto Sorbelli, qui avait défié la Joconde lors d’une performance photographiée par Kimiko Yoshida, avait été un « sujet actif » et que la photographe ne s’était pas bornée à un simple rôle d’exécutante technique. Autrement dit, puisqu’ils avaient imposé leurs choix artistiques, ils avaient tous les deux concouru à la création des œuvres qui devaient alors être qualifiées de collaboration. Cette solution n’est pas nouvelle puisque la Cour de cassation avait déjà reconnu en 1983 la qualité de co-auteur à Richard Guinot, élève d’Auguste Renoir, dès lors que la comparaison des tableaux du maître et des sculptures litigieuses révélait que certaines attitudes, certaines expressions avaient été acceptées et non dictées par Renoir.
Exécution matérielle ou intellectuelle ?
À l’inverse, la personne qui ne contribue pas aux opérations intellectuelles de conception de l’œuvre ne peut être considérée comme coautrice. Les époux Di Folco en ont récemment fait l’amère expérience puisque la Cour de cassation leur a rappelé, en 2019, qu’ils ne pouvaient invoquer la qualité de coauteurs sur plus de 800 tableaux de Jacques Villeglé, dans la mesure où ils n’apportaient pas la preuve d’un apport créatif (lire le QDA du 9 avril 2019). Villeglé était donc bien le seul auteur des œuvres litigieuses. Reste à savoir si Daniel Druet sera en mesure d’apporter les preuves matérielles qui permettront de révéler sa paternité exclusive, ou à tout le moins sa qualité de coauteur avec Maurizio Cattelan. De plus, une autre issue pourrait se cacher dans la commande même des œuvres à Druet, car il est admis que le commanditaire d’une œuvre ne peut prétendre en être l’auteur dès lors qu’il laisse une liberté d’exécution à la personne chargée de réaliser la création. Les précisions mathématiques imposées par Cattelan à Druet seront-elles suffisantes pour exclure la qualité de coauteur ? En somme, l’exécution matérielle de Druet supplantera-t-elle l’exécution intellectuelle de la mise en scène finale de Cattelan ?
La solution qui sera rendue le 8 juillet 2022 est vivement attendue car elle est susceptible de rebattre les cartes juridiques de création de l’art conceptuel. Espérons seulement qu’un mérite ressorte de cette affaire : celui de rappeler que les « petites mains » sont les grandes oubliées de l’histoire de l’art. Une vision encore plus criante dans les métiers d’art, où les artistes s’effacent derrière les objets produits, laissant bien souvent le droit à la paternité à peau de chagrin.