Née dans les années 1980, la technologie de l’impression et de la numérisation 3D s’est révélée être un outil extraordinaire pour les activités de conservation et de recherche du patrimoine culturel, à l’instar du projet de « patrimoine ouvert » du Google Arts and Culture Institute. Il n’est donc pas anodin que l’idée de scanner et de « copier » certains biens culturels pour restituer les originaux aux pays spoliés fasse l’objet d’une attention croissante. Pour autant, encore faut-il pouvoir accéder aux œuvres pour créer leurs images 3D. L’Institut d’archéologie numérique d’Oxford en a d’ailleurs fait l’amère expérience après que le British Museum le lui a interdit pour les marbres du Parthénon, emportés de Grèce par Lord Elgin au XIXe siècle.
Une question qui n’est pas sans faire écho à celle de l'artiste Cosmo Wenman qui se bat depuis plusieurs années contre le musée Rodin afin d’obtenir la communication des scans 3D de sculptures, notamment du Baiser et du Penseur, afin de pouvoir en commercialiser des reproductions. Problème ? Le musée craint que son modèle financier, qui repose en partie sur la production d’éditions originales de bronzes, ne soit compromis. Derrière ce cas d’école, les scans 3D des œuvres d’art des collections publiques sont pris dans l'imbroglio des droits d’auteur et de l’information publique.
Une mise à l’index du droit d’auteur ?
On sait que toute utilisation d’une œuvre protégée au titre du droit d’auteur en dehors de la sphère privée constitue une contrefaçon. Aussi la numérisation et l’impression en 3D d’une création mettent en œuvre le droit de reproduction de l’artiste et doivent donc être autorisées par ce dernier, tandis que la mise en ligne de scans 3D sans l’autorisation de l’auteur constitue une atteinte à son droit de représentation. En miroir, le droit moral de l’auteur sera également mis à mal lorsque la reproduction par impression 3D, pourtant autorisée par l’auteur, est de médiocre qualité ou réalisée dans une matière ou une couleur différente de celle de l’œuvre initiale.
Les œuvres d'Auguste Rodin étant dans le domaine public du droit d’auteur, le musée conserverait seulement une latitude pour agir sur le fondement du droit moral. Le tirage de bronzes originaux étant parfaitement encadré, la respectabilité du musée ne saurait être remise en cause. Telle est l’ambition de la récente charte « Impression 3D » du ministère de la Culture, qui vise à réduire le risque de contrefaçons ou de faux artistiques. Par ailleurs, si le musée Rodin pourrait être tenté d’invoquer une propriété intellectuelle sur les fichiers 3D, il semble, ainsi que l’a estimé un rapport consacré à l’impression 3D du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique en 2016, que ceux créés par une simple numérisation ne porteraient aucunement l’empreinte de la personnalité de l’auteur et ne sauraient être protégés par le droit d’auteur.
La nécessaire libéralisation des données publiques
En revanche, sur le terrain du droit des informations publiques, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a estimé en 2019 que les scans 3D produits par le musée Rodin, et donc les musées publics français, étaient des documents administratifs communicables au public. La CADA a estimé que ni les considérations tirées du mode de financement de l’établissement public, ni la qualité d’ayant droit du musée Rodin n’étaient susceptibles de fonder un refus de communication, dans la mesure où leur perpétuité du droit moral viendrait vider de sa substance le principe même de la réutilisation des informations publiques.
Face à la résistance du musée, Cosmo Wenman a finalement assigné l'établissement. Le jugement du tribunal administratif de Paris est donc attendu avec impatience car ce contentieux soulève des enjeux importants pour les institutions culturelles. Entre l’articulation de leurs missions de service public et la poursuite de leurs missions commerciales, il serait bien illusoire de croire que les musées aient un monopole exclusif sur les œuvres de leurs collections. Si le législateur a prévu une exception à la réutilisation gratuite des données publiques en matière culturelle, cette vision n’est plus tenable à l’heure où l’open data culturel joue un rôle crucial pour l’éducation artistique et culturelle, la science, le patrimoine culturel et l’information du public. Le jeu de la liberté du commerce culturel doit pouvoir prospérer : les mondes de l’art ont tout à y gagner.