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Biennale off : Venise à tout prix

Biennale off : Venise à tout prix
Fondation Cini.
Photo Sergey Ashmarin.

Après trois ans d’attente, ils veulent tous en être. Les 30 projets collatéraux officiels de la biennale de Venise et la nuée d’événements parallèles témoignent de cette impatience, sonnant les grandes retrouvailles de l’art contemporain.

San Giorgio Maggiore, en face des Giardini. L’île et son ancien monastère sont un écrin d’exception. Michele Casamonti, directeur de Tornabuoni Art, en sait quelque chose. Depuis trois ans, il investit la fondation Cini au moment de la biennale avec des projets uniques qu’il n’ambitionnerait nulle part ailleurs. Cette année, un hommage au feu comme moyen d’expression rassemble les gestes pionniers de Klein, Burri, Arman, Parmiggiani, Kounellis et Calzolari. « Une initiative d’envergure muséale » selon lui, qui bénéficie de la collaboration des fondations des six artistes exposés. « Une galerie doit se donner le luxe de réaliser des projets culturels courageux, détachés d’une logique de rentabilité. Pour asseoir son statut en tant qu’entité scientifique et ancrer sa relation avec les institutions publiques et les fondations d’art », affirme-t-il, rappelant qu’en 2019, son exposition sur Alberto Burri lui avait apporté une légitimation sans précédent auprès des institutions, tels le Guggenheim ou le Centre Pompidou. 

Une légitimation institutionnelle recherchée par beaucoup, et mise en lumière lorsque le projet est dit « collatéral », officiellement intégré au parcours de la Biennale. Un Graal pour certains qui y voient une garantie de communication élargie et un gage de prestige tandis que d’autres regrettent un processus de candidature contraignant et un label qui a un coût (25 000 euros). Sous couvert d’être présentés par des organisations à but non lucratif, ces derniers sont cependant souvent portés financièrement par les galeries qui offrent à leurs artistes la dimension historique de la Sérénissime. « Kehinde Wiley avait le désir de faire une grande exposition dans un lieu historique en dialogue avec l’histoire de l’art classique, un lieu qui ne soit pas nécessairement un musée d’art contemporain. Venise et la biennale se sont imposées comme des évidences », observe Anne-Claudie Coric, directrice de la galerie Templon, qui montre le peintre américain à la fondation Cini sous la bannière du musée d’Orsay. Également sélectionnée dans les projets collatéraux, l’exposition de Claire Tabouret au Palazzo Cavanis, portée par la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, est « un enjeu pour une jeune peintre française dans un contexte qui n’est pas celui d’une foire », souligne Martin Brémont, directeur de la galerie Almine Rech, sponsor de l’événement.

La course au palazzo

Mais à la question du combien ça coûte, tous restent peu loquaces. « La biennale est unique », répètent-ils à l’unisson, arguant d’un investissement sans égal sur le long terme. Et qu’importe la course effrénée à la location d’un lieu et le doublement vertigineux des prix de transport des œuvres (secteur impacté par la crise du Covid et les répercussions de la guerre en Ukraine). Venise n’a pas de prix. « Selon sa taille, la location d’un palais peut osciller entre 40 000 et 200 000 euros, voire plus », indique Michele Casamonti. Fabien Valérian, lui, en a cherché un en janvier : « Ça n’a pas été simple mais nous avons trouvé le Palazzo Rocca à une minute de l’Accademia, sur le Grand Canal pour la première exposition de Ruinart à Venise, dans le cadre d’une carte blanche à Jeppe Heim. L’idée est de participer à la vie artistique et culturelle en dehors de tout événement commercial », se félicite le directeur artistique de la célèbre marque de champagne. De la même manière, Nicolas Bourriaud a déniché le Palazzo Bollani, en plein cœur de la ville, pour la toute première exposition de sa coopérative curatoriale Radicants, souhaitant « être à l’endroit où la communauté artistique se retrouve ». 

En quête de visibilité et de réputation, cette année, les expositions s’ancrent en plus dans un riche dialogue avec l’art ancien. Pour n’en citer que quelques-unes : Kiefer au Palazzo Ducale, Baselitz au Palazzo Grimani, Raqib Shaw à la Ca’Pesaro, Huong Dodinh au musée Correr, Ramin Haerizadeh, Rokni Haerizadeh et Hesam Rahmanian au Complesso dell’Ospedaletto… se profilant derrière les galeries Ropac, White Cube, Pace et In Situ - Fabienne Leclerc. Ou même sous forme de coalition à six - kamel mennour, Esther Schipper, Sadie Coles, Gladstone, Eva Prensehuber et Kukje - pour Ugo Rondinone à la Scuola Grande San Giovanni Evangelista, la plus ancienne confrérie de Venise.

Mais quid de la Venise d’aujourd’hui ? Pour la curatrice Silvia Guerra, l’enjeu serait plutôt de « tenter d’échapper aux rouages d’une biennale institutionnalisée ». Directrice artistique du fonds de dotation Lab'Bel, elle a imaginé auprès de l’artiste Ariane Michel une performance dans l’espace public (coût de production de 40 000 euros) afin d’entrer en résonnance avec la ville. « Il s’agit aussi de pouvoir avoir un regard critique. Associer une artiste très exposée dans les musées et qui pourtant accepte de faire ce projet, c’est une position de fragilité et un défi ! », exprime sa voix dissonante qui s’aventure hors des sentiers battus. Son vœu : imaginer une biennale plus proche des habitants.

3. The Wounded Achilles (Fillippo Albacini)
Oil on Canvas
273.7 X 184.5cm
©Kehinde Wiley
3. The Wounded Achilles (Fillippo Albacini)
Oil on Canvas
273.7 X 184.5cm
©Kehinde Wiley


©Kehinde Wiley

Claire Tabouret," The Spell " , 2018, acrylique sur toile, 130 x 75 cm.
Claire Tabouret," The Spell " , 2018, acrylique sur toile, 130 x 75 cm.
© Claire Tabouret - Courtesy of the Artist and Almine Rech/ Photo Marten Elder.
Lucia Pizzani " Accordaza Guerrera " , 2020,  collage découpé à la main sur papier coton imprimé à l'encre pigmentée, 60 x 42 cm. Exposition "  Planet B Climate change and the new sublime " par Radicants au Palazzo Bolani.
Lucia Pizzani " Accordaza Guerrera " , 2020, collage découpé à la main sur papier coton imprimé à l'encre pigmentée, 60 x 42 cm. Exposition " Planet B Climate change and the new sublime " par Radicants au Palazzo Bolani.
© Photo Rubber Seabra.
Kendell Geers, " Poetic Justice (Season in Hell) " , 2019, huile sur toile 160 x 120 cm. Exposition "  Planet B Climate change and the new sublime " par Radicants au Palazzo Bolani.
Kendell Geers, " Poetic Justice (Season in Hell) " , 2019, huile sur toile 160 x 120 cm. Exposition " Planet B Climate change and the new sublime " par Radicants au Palazzo Bolani.
© Photo Rubber Seabra.
" Burn shine fly " d'Ugo Rondinone à Venise à la Scuola Grande San Giovanni Evangelista.
" Burn shine fly " d'Ugo Rondinone à Venise à la Scuola Grande San Giovanni Evangelista.
Courtesy Ugo Rondinone.
Michele Casamonti.
Michele Casamonti.
Courtesy Tornabuoni Art.
Anne Claudie Coric, directrice de la galerie Templon.
Anne Claudie Coric, directrice de la galerie Templon.
DR.

Article issu de l'édition N°2370