« Un musée citoyen » : ces mots sur la façade du château des ducs de Bretagne donnent le ton. C'est à bras le corps que depuis plusieurs années déjà, le musée d'histoire de Nantes qui y est installé assume cette mission : permettre par la culture matérielle de donner aux citoyens et citoyennes les outils pour comprendre le passé et le présent de la ville, et ainsi informer le débat public. L'exposition au long cours « L'abîme. Nantes dans la traite atlantique et l'esclavage colonial, 1707-1830 » (jusqu'au 19 juin) est un véritable manifeste – comme l'était celle du Rijksmuseum d'Amsterdam l'été dernier, voir QDA du 22 juillet 2021) : conçue à partir des collections du musée « comme un laboratoire », explique son directeur Bertrand Guillet, elle mêle objets et documents pour expliciter le rôle consubstantiel de la traite des esclaves dans l'histoire économique et sociale de la ville. Les installations multimédia y jouent aussi un rôle important : ainsi des projecteurs viennent animer les portraits de notables nantais, notamment celui de Marguerite Deurbroucq (1753) par Pierre-Bernard Morlot, désignant des éléments indiciels de la traite (café, sucre, tissu imprimé) et surtout une servante noire, dont on sait qu'elle était esclave. Placée au second plan, anonyme, les yeux dans la vague, elle est située dans l'angle mort de l'apparat, dans l'ombre des « Lumières ». Or, grâce aux chercheurs (on pense à l'ouvrage fondamental L’Art et la Race. L’Africain (tout) contre l’œil des Lumières d’Anne Lafont) et au musée, le regard aujourd'hui s'est déplacé.
« L'abîme. Nantes dans la traite atlantique et l'esclavage colonial, 1707-1830 », jusqu'au 19 juin, au château des ducs de Bretagne, musée d'histoire de Nantes, chateaunantes.fr