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Politique culturelle

Design : de Mitterrand à Macron, deux styles, deux ambiances

Design : de Mitterrand à Macron, deux styles, deux ambiances
Le salon d'or du palais de l'Elysée avec, notamment, le bureau signé Thierry Lemaire, des fauteuils Philippe Starck, des tables basse et d'appoint par Toni Grilo et des lampes Caroline Ziegler et Pierre Brichet. Extrait de l’ouvrage Résidences présidentielles d'Adrien Goetz.
Photo Ambroise Tézenas.

Recevant récemment la fine fleur du design français à l'occasion du French Design 100, Emmanuel Macron a rappelé l'importance du secteur comme vitrine d'excellence, quand François Mitterrand souhaitait surtout mettre en valeur les jeunes designers. 

Lorsque Isabelle Stanislas s’est lancée dans la compétition pour la rénovation de la salle des fêtes de l’Élysée, l’architecte d’intérieur s’est replongée dans l’histoire de l’hôtel d’Evreux, le nom officiel du palais de l’Élysée, et notamment sa période mitterrandienne : « Une fois que j’ai remporté le concours, j’ai voulu m’inscrire dans la continuité de la période 1983-1985 ». « La salle avait été modernisée et dix portes-fenêtres avaient été percées dans les murs est et sud pour retrouver de la lumière naturelle à l’intérieur et le rythme originel de la façade à l’extérieur », rappelle la Fondation Mitterrand. « J’ai retiré les rideaux en place, trop ostentatoires, pour laisser place à la vue sur le jardin. De nouvelles peintures couleur craie permettent d’attraper la lumière extérieure », détaille Isabelle Stanislas. Un geste architectural qui vient prolonger des actions passées, notamment dans les années 1980, la dernière période féconde concernant la création à l’Élysée. « Il y a eu peu de réalisations lisibles depuis », confirme Adrien Goetz, auteur de l’ouvrage Résidences présidentielles (Flammarion).

Lorsque François Mitterrand est élu le 10 mai 1981, il impulse directement une stratégie de modernisation à tous les étages du pouvoir, y compris dans la rénovation de l’Élysée. « Cet aspect de l’exercice du pouvoir dit beaucoup de chaque président », rappelle Claude Mollard, alors délégué aux arts plastiques au ministère de la Culture. Celui qui avait sous son autorité le Mobilier national rappelle que les rois qui arrivaient au pouvoir ôtaient systématiquement la décoration de leur prédécesseur. Quand François Mitterrand prend possession des lieux, « il a la volonté de vivre dans son époque. L’idée était de donner la parole aux créateurs jeunes ». Le président décide de concentrer les efforts sur les appartements privés, projet pour lequel cinq créateurs sont appelés à la rescousse.

De l'effervescence...

La salle à manger est attribuée à Marc Held, le salon à Ronald-Cecil Sportes, la chambre de Danielle Mitterrand à Philippe Starck, la chambre d’ami à Annie Tribel, et la chambre du président à Jean-Michel Wilmotte. Marc Held conserve un souvenir très précis de cette aventure. « Jack Lang a fait feu de tout bois pour imiter Georges Pompidou et sa modernité, raconte-t-il. Lorsque le ministère de la Culture m’a contacté, j’ai préparé un dossier qui répondait à la demande d’un manifeste du design de l’époque. Il rencontre régulièrement Danielle Mitterrand, qui lui précise ce qu’elle désire. » Le budget ? « On ne nous avait pas annoncé de contraintes budgétaires et je craignais qu’on soit attaqué par l’opposition », se souvient Marc Held, qui dit avoir alors réagi « en homme de gauche », en réclamant un cadre financier strict.

Claude Mollard ne partage pas exactement le même souvenir. « Nous utilisions les capacités de financement du ministère de la Culture pour orienter notre politique vers la création, un peu dans l’esprit de Georges Pompidou. Cependant, lui avait embauché un designer connu, alors que nous voulions donner leur chance à des jeunes. Nous avons passé les commandes avec l’aide du Mobilier national. » Actuel directeur de l’institution, Hervé Lemoine considère cette période comme « un moment d’effervescence particulière, à l’initiative du président et de Jack Lang, avec une volonté authentique de soutenir la création en matière de design ».

... à la mise en scène de la créativité hexagonale

Mais de manière moins informelle qu’en 2022. « Aujourd’hui, si l’intention demeure la même, les modalités d’exécution sont différentes. Il n’y a plus de commandes directes. Nous rédigeons des cahiers des charges, des appels à projet, et mettons en place des jurys pour acquérir ces pièces », rapporte Hervé Lemoine. La réalité actuelle est plus complexe, avec l’intervention des hôtes de l’Élysée. Par exemple, Brigitte Macron était officiellement dans le jury de rénovation de la salle des fêtes et dans celui de la table du conseil des ministres. Le Mobilier national a lancé un appel à candidatures auprès des écoles de design pour remplacer la table juponnée par un modèle nettement plus contemporain. « Nous nous devions de montrer l’innovation, c’est pourquoi nous avons choisi ce modèle où une fine peau de béton habille une ossature de bois », détaille Richard Devinast, responsable du projet lauréat porté par l’École des Arts appliqués (Ensaama).

Hervé Lemoine a également guidé ensuite Brigitte Macron dans l’exposition de décoration « AD intérieurs » il y a trois ans, où elle a découvert le travail de Thierry Lemaire. Est-ce un hasard si les meubles du designer parsèment les salons de l’Élysée, et notamment le bureau présidentiel, un modèle en chêne brossé et cuivre poli, à la fois intemporel et d’une grande modernité ? « Je n’ai pas gagné d’argent sur ce projet, où tout est fabriqué en France, précise Thierry Lemaire. C’est pour moi une vitrine somptueuse, mais moins que ce que j’aurais imaginé… À l’époque, l’Élysée était dans Paris Match, aujourd’hui, après les Gilets jaunes, on n’est plus dans l’affichage. » Adrien Goetz rappelle que l’enjeu est loin d’être anecdotique : « C’est une mise en scène de ce que l’art français peut apporter au monde, à l’opposé des tweets populistes qui dénoncent par exemple le coût des changements de moquette ou l’achat compulsif de vaisselle. Les rénovations de l’Élysée œuvrent à la préservation des arts décoratifs français et au maintien de la créativité hexagonale ».

Intégration de la table gonflable et des chaises carbone et cuir du projet L.I, conçu par Yanis Bontemps, Paul Seiller et Victor Galineau de l'Ensaama.
Intégration de la table gonflable et des chaises carbone et cuir du projet L.I, conçu par Yanis Bontemps, Paul Seiller et Victor Galineau de l'Ensaama.
© Yanis Bontemps/Paul Seiller/Victor Galineau.
Détail de la salle des fêtes du palais de l'Elysée, réaménagée par l'agence Isabelle Stanislas.
Détail de la salle des fêtes du palais de l'Elysée, réaménagée par l'agence Isabelle Stanislas.


© Matthieu Salvaing.

Le bureau de Thierry Lemaire dans le salon d'or du palais de l'Elysée.
Le bureau de Thierry Lemaire dans le salon d'or du palais de l'Elysée.


© KAO Zhicheng/Présidence de la République.

Le salon des aides de camp du palais de l'Elysée.
Le salon des aides de camp du palais de l'Elysée.
© Présidence de la République.
Canapé par Thierry Lemaire dans le salon Pompadour du palais de l'Elysée.
Canapé par Thierry Lemaire dans le salon Pompadour du palais de l'Elysée.
© Philippe Servent/Présidence de la République.
Bureau réalisé par Pierre Paulin pour François Mitterrand.
Bureau réalisé par Pierre Paulin pour François Mitterrand.
© Isabelle Bideau.
Le salon des portraits du palais de l'Elysée. Extrait de l’ouvrage « Résidences présidentielles » d'Adrien Goetz.
Le salon des portraits du palais de l'Elysée. Extrait de l’ouvrage « Résidences présidentielles » d'Adrien Goetz.
Photo Ambroise Tézenas.

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