« Dans le secteur, nous appelons les audioguides des compagnons de visites », explique, souriant, le fondateur et directeur d’Audiovisit, Guillaume Ducongé. Qui, en effet, peut se targuer de n’avoir jamais vissé à son oreille ce petit appareil le temps de parcourir une exposition ? Selon une étude menée par la société Audiovisit, 75 musées et musées de châteaux interrogés en 2019 comptabilisent avoir en tout distribué plus de 4 millions d’audioguides cette même année. De son côté, Guillaume Ducongé observe que « les utilisateurs et utilisatrices d’audioguides représentent une typologie de visiteurs réguliers ».
Si, au départ, l’audioguide est surtout un outil d’accessibilité linguistique permettant la traduction de contenus culturels, il a connu quelques modifications de forme et de fond au cours des vingt dernières années. Formellement, l’appareil est devenu plus petit. Pour le directeur de la société Orphéo, Antoine Eisenstein, l’audioguide ne doit en effet en « aucun cas alourdir la visite ». Et de continuer : « Notre philosophie, c’est qu’il faut oublier la machine qui, avec le temps, est devenue de plus en plus compacte et, avec un déclenchement de contenus, de plus en plus sophistiquée ». Autre amélioration notable : certains audioguides proposés par la société Orphéo peuvent être directement connectés à un appareil auditif, facilitant l’accès aux personnes malentendantes. Depuis quelques années, l’appareil s’est aussi doté d’un écran, devenant un « visioguide » – nom déposé par Audiovisit – donnant la possibilité d’une transcription des contenus culturels en langue des signes française (LSF).
Des audioguides « allophones »
Mais au-delà des modifications physiques de l’objet, l’audioguide est un contenu. À qui est-il destiné ? « En général, les audioguides proposent toujours les mêmes langues, observe Guillaume Ducongé. Les langues des touristes étrangers les plus nombreux. » Avec le MAC VAL, Audiovisit a décidé de réaliser un audioguide « allophone », dans la langue des personnes qui vivent aux alentours du musée. Le projet débute courant janvier 2020, deux mois à peine avant le tout premier confinement. « Nous avons fait un appel à participation qui a été largement diffusé à Vitry-sur-Seine, explique Irène Burkel, chargée d’accessibilité au musée. Quatre ou cinq volontaires sont venus à notre première réunion : l’idée était de travailler à partir des supports écrits existants. » Mis entre parenthèses quelque temps en raison des confinements successifs, ce projet d’audioguide collaboratif a finalement vu le jour : ainsi, des habitants et habitantes de Vitry décryptent et commentent les œuvres du musée en malgache, lingala, portugais du Brésil et italien, afin de « donner à entendre la diversité culturelle du territoire ». « Avec les volontaires, on a passé au crible les textes qui existaient déjà, et vérifié que le vocabulaire spécialisé employé dans les cartels était bien compris, raconte Irène Burkel. On s’est rendu compte que ce n’était pas le cas… C’était très intéressant pour le musée de comprendre ce qu’il nous fallait revoir. » Aujourd’hui, les textes enregistrés par les bénévoles sont disponibles sur le site internet du musée. Guillaume Ducongé se réjouit : « Ce projet, c’est aussi une manière de reconnaître ces différentes communautés linguistiques, et leur montrer que nous nous adressons à elles. Ce fut une vraie action culturelle et nous avons envie de continuer ».
À Rennes, le musée de Bretagne - Les Champs Libres met quant à lui gratuitement à disposition de son public des audioguides en breton et, pour la première fois dans le monde, en gallo à partir du 15 janvier. Destinés aux visiteurs et visiteuses du parcours permanent, les enregistrements ont été réalisés à Quimper dans les studios de l’entreprise de doublage en breton Dizale et avec l’Institut du Galo. En diversifiant les langues proposées, l’audioguide devient ainsi un outil permettant de créer davantage de lien avec des publics ancrés sur le territoire.
Coconstruire avec les utlisateurs
Pour Guillaume Ducongé, faire un audioguide inclusif, c’est « adresser du contenu spécifique et inclure le public concerné dans sa démarche de production ». C’est ce que le Mucem a fait en 2019 en donnant à des collégiens de Marseille carte blanche pour faire une exposition dans le cadre du projet « Les jeunes font leur musée ». Chargée du développement scolaire au musée, Nelly Odin raconte : « Nous voulions avoir une captation sonore de ce que les jeunes avaient envie de dire sur le sujet de l’exposition : l’interdit ». Ainsi, des audioguides étaient mis à disposition des visiteurs et visiteuses qui pouvaient écouter ce que les élèves avaient pensé de l’exposition. « Les retours sur cette expérience furent assez différents, poursuit Nelly Odin. Pour certains élèves, ce fut une fierté d’entendre leur voix dans un musée, mais aucun d’entre eux n'a dit vouloir travailler dans un musée plus tard. » Autre objectif de ce type de projet : « Que les élèves se fassent les ambassadeurs du musée et qu’ils reviennent ensuite avec leur famille ». L’audioguide, vecteur d’accessibilité ?
Pour Céline Méchain, chargée de développement des publics adultes au Mucem, l’audioguide est « l’outil numéro un d’aide à la visite ». Et si la cible historique reste les publics étrangers, le musée propose des parcours en LSF et en audiodescription depuis son ouverture. « Nous avons un parcours constitué d’objets tactiles et de textes en braille, l’audioguide en audiodescription est là pour détailler les objets qu’il est possible de manipuler », explique Céline Méchain. L’entreprise Audiovisit s’appuie quant à elle sur des partenaires pour créer des contenus en audiodescription et en LSF. « Nous mettons tout en œuvre pour réaliser au mieux la traduction dans leur langue et leur culture, notamment en associant au maximum les utilisateurs, dans une démarche de cocontruction », détaille Guillaume Ducongé. Ainsi, aujourd'hui, l'audioguide est devenu un outil privilégié de dialogue entre le musée et ses visiteurs : non plus cantonné à un rapport ascendant, ses usages restent encore à explorer.