Mercredi 1er décembre 2021, 11 heures du matin : la foire d’Art Basel Miami Beach ouvre ses portes et se remplit doucement. Deux galeristes se questionnent mutuellement à voix basse sur la question des NFT :
– Tu en proposes à tes artistes ?
– Non, bien sûr que non. J’ai une réputation à tenir, et tu imagines si tout le truc s’effondre…
– Oui, tu as raison, moi non plus.
D’ailleurs on ne voyait pas beaucoup de NFT à vendre dans la foire principale, à part une moitié un peu cachée du stand de la galerie Nagel Draxler qui leur était consacrée.
Comment en est-on arrivé à un tel niveau de méfiance entre ces deux mondes, depuis la vente notoire de l'œuvre de Beeple pour 69 millions de dollars chez Christie’s New York en mars dernier, événement qui a révélé les NFT au monde ?
La réponse est simple : du fait d’un malentendu. Après cette vente d’art record plaçant Beeple parmi les trois artistes vivants les plus chers au monde et quelques autres ventes d’art crypto chez Sotheby’s et autres, la presse généraliste a surtout couvert les projets de collectibles NFT. Ces « drops » sont en général des séries de 10 000 NFT (suivant le modèle des CryptoPunks), dont chaque unité est générée à l’achat et consiste en une combinaison d’un nombre d'éléments comme la peau, les cheveux, le nez, les accessoires, etc. L’acheteur obtient au hasard une composition plus ou moins rare et donc d’une valeur plus ou moins élevée, soit le scénario parfait pour une spéculation amusante, rappelant vaguement les machines à bonbons des fêtes foraines.
Beaucoup de questions sans réponse
Quand j’ai dit à une galeriste à Miami que l’art ne constituait encore que 9 % du volume des NFT, alors que les collectibles en représentaient 76 % (données Ethereum de nonfungible.com du 3e trimestre 2021), elle a été choquée, ayant toujours pensé que l’art, première application des NFT révélée au grand public, ne pouvait être que son application la plus répandue. Bien plus que de l’art, ces collectibles sont la nouvelle version d’une carte VIP Art Basel qui donnerait accès à un club privé avec soirées secrètes et ventes privilégiées. Mais les maisons d'enchères brouillent les pistes en mettant en vente des CryptoPunks, des Bored Apes, un Squiggle, ou encore un Mooncat…
Comment aider les mondes de l’art et des NFT à se comprendre en 2022 ? 2021 nous a montré la possibilité d’un monde de l’art meilleur grâce à des solutions liées aux NFT, et non pas juste la transposition du marché de l’art tel quel sur la blockchain. Mais il y a encore beaucoup de questions sans réponse et de risques liés à ce nouveau format. Beaucoup prévoient en effet l'arrivée imminente de l’« hiver crypto » – référence à la réplique célèbre de la série Game of Thrones, « Winter is coming ». Cette période verra les spéculateurs partir vers d’autres investissements plus lucratifs que des projets de collectibles sans utilité, ce qui devrait permettre aux acteurs du monde de l’art d’y voir un peu plus clair, sans le bruit de fond.
Des perspectives diverses
Pour les artistes, un des plus grands transferts de valeur de l’histoire se poursuit, et le regain de créativité et d’enthousiasme autour de ces nouveaux concepts est palpable, même si la majorité d’entre eux ont besoin d’aide pour lancer leur carrière dans les NFT et naviguer parmi les embûches.
Les galeries, encore en retrait, voient leurs artistes les quitter pour expérimenter les NFT, faute de services à leur proposer. Elles devront se pencher sur des solutions d’accompagnement pour jouer un rôle dans le premier marché des NFT, ce que les maisons d'enchères n’ont pas réussi à faire en 2021.
Les musées et institutions culturelles jouent quant à elles un rôle essentiel de légitimation du format et de publication de recherches autour des NFT. Par ailleurs, l'extension de la présence de leurs collections au métavers permettra d'attirer une nouvelle audience jeune et issue de la crypto, qui a la curiosité d’apprendre et de vivre avec de l’art.
Pour les communautés, les NFT représentent davantage de moyens de s'auto-gérer et d’avoir de l’impact grâce aux DAO (organisations autonomes décentralisées, fonctionnant grâce à un ensemble de protocoles informatiques qui établissent des règles de gouvernance, ndlr). On citera l’exemple de HerStoryDAO, un groupe d’artistes « marginalisées » qui se sont organisées pour acquérir des œuvres culturellement importantes et amplifier leur message via la communauté du DAO. L’acronyme NFT a été retenu comme mot de l'année 2021 par le dictionnaire Collins. Pour 2022, je parie sur l’acronyme DAO.