Comme lorsqu'on entre dans une salle de cinéma, les yeux doivent d'abord s’habituer à la pénombre, les repères disparaissent. Puis surgissent les contours d’un corps inconscient, celui d’un homme qui dort, plus loin un chien rouge. « La conciliation art et cinéma se fait naturellement avec Apichatpong Weerasethakul », remarque Nathalie Ergino, directrice de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne qui accueille l’exposition « Periphery of the night » du cinéaste thaïlandais, dont le film Memoria (prix du jury à Cannes cette année) sort en salles demain. Palme d'or 2010 pour le fantomatique Oncle Boonmee, Weerasethakul, 51 ans, n’en est pas à sa première incursion dans le milieu très fermé de l’art contemporain : exposé dès 2001 à la biennale d’Istanbul, il montrait en 2009 une installation au Musée d’art moderne de Paris. À Villeurbanne, il démontre son grand sens de l’espace, jouant merveilleusement de ce lieu labyrinthique. Les rêves projetés aux murs des salles obscures se succèdent sans ordre ni autorité, laissant au visiteur le choix d’un scénario à tiroirs. « L’exposition c’est la mémoire », confie l'artiste. Et nous voilà précipités dans son inconscient, les séquences filmées avec une petite caméra (pour certaines assez anciennes) diffusant par projection ou transparence ses notes intimes. Des enfants qui jouent sur une plage, un chien errant, un coucher de soleil sur la mer, un feu d’artifice, une boule enflammée que se disputent des joueurs de football… et beaucoup de dormeurs, dans le paradoxe de leur mouvement immobile. Une douceur intense se dégage de ces images relativement pauvres mais d’une beauté foudroyante, comme cette flamme qui embrase une femme inerte. Apichatpong Weerasethakul développe : « Les souvenirs dialoguent les uns avec les autres et prennent un sens nouveau. C’est comme une bibliothèque, un voyage dans le temps, un cerveau collectif ».
« Apichatpong Weerasethakul – Periphery of the night », à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne jusqu’au 28 novembre, i-ac.eu