Juif caché à Paris pendant l’Occupation, marqué par l’objectif de « se déprendre de soi », Sylvère Lotringer, mort le 8 octobre à 83 ans, a été le principal maillon entre les contre-cultures françaises et américaines à partir des années 1970. Après des études à la Sorbonne (et un passage aux Lettres françaises où il rencontre Barthes ou Sollers), il enseignant à Columbia, à New York, dès 1972, et l'année suivante crée la revue Semiotext(e), qui publie des numéros sur Bataille ou la « schizo-culture » et consacre Deleuze, Guattari ou Lyotard auprès des artistes et chercheurs américains, dans un style direct et avec humour. Il publie dès 1980 des numéros sur l’homosexualité et la polysexualité, invitant chaque fois des groupes différents à s’en emparer. Sylvère Lotringer organise deux événements majeurs de la contre-culture : le symposium « Schizo-Culture », en 1975, qui a l’effet d’une bombe, et « Nova Convention » en 1978, autour de William Burroughs. L’introduction des Français par Lotringer dans le débat américain laisse des traces durables : de l'autrice Kathy Acker à l'universitaire Hakim Bey (Zone autonome temporaire, 1985), en passant par ses étudiants Tim Griffin (rédacteur en chef d’Artforum) ou John Kelsey (artiste et co-fondateur de la galerie Reena Spaulings). Pour d’autres, Sylvère Lotringer reste l’éditeur de Simulations (1983) de Baudrillard, livre le plus influent de l’époque pour les artistes américains ou le compagnon de Chris Kraus (qui évoque leur trio amoureux dans I Love Dick).