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Vente Macklowe : les coulisses d’un événement hors normes

Vente Macklowe : les coulisses d’un événement hors normes
Willem de Kooning, Untitled IV, 1983. Vue de l'exposition « The Macklowe Collection » à New York, septembre 2021.
© Willem de Kooning/Adagp, Paris, 2021/Courtesy Sotheby's.

Orchestrée par Sotheby’s le 15 novembre et courant mai, la vente de la splendide collection des époux Macklowe promet d’être un triomphe. Cet événement hors norme a été le fruit de batailles dantesques, au cours du divorce puis entre auctionneers pour remporter la vente. 

« La collection d’art moderne la plus importante jamais proposée sur le marché », « des chefs-d'œuvre de l'esthétique de chaque artiste », « un événement qui fera date dans le marché de l’art et l’histoire de Sotheby’s », « un tournant décisif qui hissera le marché vers de nouveaux sommets », « des records sans précédent »... C’est en ces termes mirifiques que Charles F. Stewart, PDG de Sotheby’s, et de divers directeurs de la maison décrivent l’événement phare qu’est la collection Macklowe. Annoncée le 9 septembre dernier lors d’un événement diffusé mondialement en livestream – du jamais vu, la vente de ces 65 œuvres réunies par le magnat de l’immobilier et sa femme aura lieu en deux parties, le 15 novembre, et en mai prochain, pour une estimation totale de plus de 600 millions de dollars. Quelques années plus tôt, en 2015, la maison vantait la « légendaire » collection d’Alfred Taubman, quand sa consœur Christie’s promettait en 2018 « la vente du siècle » pour la collection Rockefeller. Les superlatifs employés aujourd’hui au sujet de la collection Macklowe sont-ils justifiés ? Assurément, à voir la qualité des œuvres, l’œil de leurs propriétaires et l’ensemble réuni. « Quand les grandes collections passent aux enchères, elles sont souvent amputées d’œuvres données aux musées, aux enfants etc. Il s’agit là d’un ensemble intégral de 40 ans de collection. En 20 ans, je n’ai jamais vu un tel ensemble. Le couple n’a pas empilé les œuvres mais choisi rigoureusement ce corpus qui reflète le meilleur de la carrière et la profondeur de chaque artiste. On communique trop souvent sur le plus beau, le plus fort, mais là, c’est vrai », explique Grégoire Billault, responsable monde du département art contemporain de Sotheby’s. Parmi les superbes trophées du couple, figurent Le Nez de Giacometti (est. 70-90 millions de dollars), un Rothko jaune-orangé, datant de 1951 (même estimation) ou encore les célèbres Nine Marylins de Warhol (est. 40-60 millions de dollars).

Un cas d'école

Une telle collection est bien entendu dans le viseur des maisons de ventes et des plus grands marchands depuis des décennies. L’événement qui a fait basculer cet ensemble sous le marteau est un cas d’école, le divorce du couple en 2016, qui a été particulièrement houleux, donnant lieu à d’âpres batailles d’avocats et d’experts divers. Selon un observateur du marché, « les parties ne se sont entendues sur rien » – y compris donc sur la valorisation de la collection, si bien qu’en 2018, la juge new-yorkaise Laura Drager a dû ordonner sa vente

lle a par la suite nommé Michael Findlay, ancien de Christie’s et directeur d’Aquavella gallery, pour examiner les propositions et superviser la vente. « Cest une autorité absolue, indique Thomas Seydoux, expert et marchand, il connaît la place de New York comme personne, même sil napprécie pas être sous les spotlights. » Comme il se doit, la compétition entre auctionneers pour remporter la vente a été féroce. Plusieurs sources rapportent que Christie’s aurait dans un premier temps remporté la timbale, avant que le jeu n’ait été rouvert l’été dernier à la suite du report de la vente initialement prévue au printemps, permettant à Sotheby’s d’offrir une nouvelle proposition plus favorable. Au cœur de ces fameux deals, le montant de la garantie totale de la collection, non révélé par Sotheby’s, se situerait au-delà de 600 millions d’euros.

Sept expositions autour du monde

Ne reste plus au vainqueur Sotheby’s qu’à déployer une machine de guerre pour promouvoir cette vente hors norme. L’enjeu crucial, alors que la pandémie sévit encore, est de parvenir à faire circuler les œuvres. De manière inespérée, les frontières des États-Unis rouvrent le 8 novembre, mais elles restent fermées, ou sous quarantaine, dans une grande partie de l’Asie, aussi nombre de collectionneurs ne pourront pas voyager. La parade ? « La plus grande exposition temporaire jamais organisée par une maison de vente » répond Grégoire Billault, qui a orchestré sept expositions autour du monde, souvent au gré des foires organisées sur place, de New York à Taipei, de Paris à Los Angeles – inaugurant au passage la toute nouvelle galerie de la maison à Beverly Hills. « Nous avons sélectionné les œuvres en fonction des spécificités locales et des collectionneurs susceptibles d’être intéressés. Et partout nous avons organisé des dîners et événements », détaille le directeur. Le dispositif de communication est à l’avenant, des canaux traditionnels comme le catalogue, une espèce pourtant en voie de disparition, à la fine fleur de ce que peut offrir le digital : site internet spécifique, dizaines de vidéos (au moins une sur chaque œuvre), réseaux sociaux tous azimuts… La vente en elle-même est organisée en livestream, permettant d’accueillir des collectionneurs dans la salle et de diffuser aux quatre coins du monde. La production, confiée à Chrome Production, lauréat d’un Webby Award cette année, promet d’être hollywoodienne, avec en acteur principal le commissaire-priseur Oliver Barker. « La pression est gigantesque, mais combiner physique et virtuel va créer une émulation. Vraisemblablement la vente de novembre sera un triomphe et relancera le marché. Reste à voir comment se passera la seconde session », conclut Thomas Seydoux.

Gregoire Billault, directeur mondial du département art contemporain chez Sotheby’s.
Gregoire Billault, directeur mondial du département art contemporain chez Sotheby’s.
© Sotheby's.
Alberto Giacometti, Le Nez, fonte de 1964, et Andy Warhol, Nine Marilyns, 1962.
Alberto Giacometti, Le Nez, fonte de 1964, et Andy Warhol, Nine Marilyns, 1962.
© Succession Alberto Giacometti/Adagp, Paris 2021/© The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc./Licensed by Adagp, Paris, 2021/Courtesy Sotheby's.
Cy Twombly, Untitled, 2007.
Cy Twombly, Untitled, 2007.
© Cy Twombly/Courtesy Sotheby's.
Jeff Koons, Vest with Aqualung, et Brice Marden, Elements IV. Vue de l'exposition « The Macklowe Collection » à New York, septembre 2021.
Jeff Koons, Vest with Aqualung, et Brice Marden, Elements IV. Vue de l'exposition « The Macklowe Collection » à New York, septembre 2021.
©Jeff Koons/Brice Marden/Adagp, Paris, 2021/Courtesy Sotheby's.
Mark Rothko, No. 7, 1951. Vue de l'exposition « The Macklowe Collection » à New York, septembre 2021.
Mark Rothko, No. 7, 1951. Vue de l'exposition « The Macklowe Collection » à New York, septembre 2021.
© Mark Rothko/Adagp, Paris, 2021/Courtesy Sotheby's.
Pablo Picasso, Figure (Projet pour un monument à Guillaume Apollinaire), 1928-1962. Vue de l'exposition « The Macklowe Collection » à New York, septembre 2021.
Pablo Picasso, Figure (Projet pour un monument à Guillaume Apollinaire), 1928-1962. Vue de l'exposition « The Macklowe Collection » à New York, septembre 2021.
© Succession Picasso 2021/Courtesy Sotheby's.
Harry et Linda Macklowe en 2015.
Harry et Linda Macklowe en 2015.
© Nicholas Hunt/Getty Images for Christian Dior/AFP.

Article issu de l'édition N°2262