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Drouot entre deux eaux

Drouot entre deux eaux
L'hôtel des ventes Drouot, Paris.
© Milan Poyet.

Drouot a été heurté de plein fouet par le confinement, provoquant d'importantes pertes financières et des licenciements économiques. Pour remonter la pente, l’hôtel des ventes déroule à pas lents la réforme impulsée par Alexandre Giquello à l’automne dernier, avec déjà quelques succès.

Une table à thé d’inspiration japonaise, du mobilier Jacques Adnet ou une ribambelle de bijoux : voilà quelques-uns des lots qui étaient proposés à Drouot lors de sa réouverture le mercredi 22 septembre, après deux longs mois de fermeture. Ces mois prochains, l’hôtel des ventes devra mettre un coup d’accélérateur au programme de réformes proposé à l’automne dernier par Alexandre Giquello, réélu à sa tête. Le programme en question est censé redresser la barre de cette institution historique, en déclin depuis près de deux décennies dans le sillage de sa transformation en société commerciale – un marronnier pour la presse tant il a été depuis commenté à intervalles réguliers. La crise du Covid-19 a été une secousse de plus. Lors du premier confinement, l’hôtel a été à l’arrêt total pendant plusieurs mois. Conséquence : le nombre de ventes a diminué de 40 % sur l’année, le chiffre d’affaires de 45 % tandis qu’une dizaine de numéros de la Gazette Drouot et leurs recettes publicitaires de 200 000 à 300 000 euros passaient à la trappe. Le tout provoquant d’importantes pertes financières (le bilan comptable 2020 n’a pas encore été publié) ainsi que plusieurs licenciements économiques et non remplacements de départs à la retraite.

La situation a également révélé les limites du modèle. « Dans cette situation, nous avons été plus que contents de faire le choix d’être indépendants, détaille Lucie-Éléonore Riveron, fondatrice de la maison Fauve qui a continué les ventes, en huis clos, tout au long du confinement. Nous avons chez nous notre stock, des salles, un studio, avec la possibilité de faire une semaine d’exposition, avec une indépendance logistique totale et une rentabilité bien meilleure qu’à Drouot. Un de mes collègues qui y travaille m’a confié qu’il payait plus en transport chaque année que moi en loyer. » Même constat chez une commissaire-priseur qui a officié à Drouot. « La marque Drouot est connue de tous, mais l’outil de travail est obsolète. La crise du Covid a confirmé son manque de flexibilité invraisemblable. L’hôtel n’est pas adapté aux modes de consommation actuels : les horaires réduits ne permettent pas de toucher une nouvelle clientèle, il n’est pas possible d’y organiser des événements privilégiés pour des clients et le manque de flexibilité des stocks amène des coûts et des contraintes. »

Surmonter les conflits d'intérêts

Diligenté par Alexandre Giquello, le programme de réformes qui a résulté de la crise se met en place à pas lents. « Nous avons subi le choc de plein fouet, ce qui a été un fort accélérateur pour transformer le groupe en une plateforme multi-services. La politique du club fermé n’avait pas d’avenir », professe le commissaire-priseur. Sa mesure phare : ouvrir Drouot, après agrément du conseil d’administration, aux acteurs qui ne détiennent pas d’actions de Drouot Patrimoine. Cela a déjà attiré huit maisons de ventes, parmi lesquelles R&C venue de Marseille. « Nous vendions auparavant dans des salles autour de l’hôtel des ventes. La location à Drouot est sensiblement plus chère, mais avec la sécurité, la logistique, la diffusion au fichier client, cela revient au même, et notre chiffre d’affaires est de 30 à 40 % supérieur. Et à Marseille, être agréé par Drouot est un gage de sérieux », explique son fondateur Yonathan Chamla.

Autant de ventes qui augmentent les recettes des locations de salles. Certains services sont également rationalisés. « L’objectif est de surmonter les conflits d’intérêts entre actionnaires et utilisateurs. Bien souvent, Drouot s’est sacrifié au bénéfice des maisons de ventes. Par exemple, au départ Drouot Digital était gratuit, comme beaucoup d’autres services. Plusieurs activités sont donc à perte et on compensait par d’autres filiales. Ce qui n’est pas très sain… », reconnaît Alexandre Giquello. Conséquence : le nombre de ventes a diminué de 40 % sur l’année et le chiffre d’affaires de Drouot Enchères de 45 %, tandis que la filiale AuctionsPress, annulant la parution d'une dizaine de numéros de la Gazette Drouot, et leurs lucratives recettes publicitaires. Le service presse par exemple, largement utilisé par les maisons, se contente aujourd’hui de faire la promotion des seules ventes prestigieuses pour l’image de Drouot, et pour le reste renvoie vers des attachées de presse indépendantes. Montée en partenariat avec Nicolas Hug, la nouvelle filiale consacrée à l’immobilier ne verra le jour qu’au premier trimestre 2022. Et la forme définitive de la structure est toujours en négociation.

Des évolutions qui tardent à venir

La nouvelle filiale Drouot Logistic, qui gère une équipe de manutentionnaires internalisée, est en revanche opérationnelle. Autre pan de la réorganisation globale, une directrice marketing, Apolline Dron, précédemment chez Unibail, est arrivée le 23 août. Quant aux services clients, ils tardent à se mettre en place. La conciergerie destinée à faciliter la vie des VIP, de l’emballage à la livraison, ne sera effective qu’au premier semestre. « Le système de facturation est encore à l’étude », confie Alexandre Giquello. Même date envisagée pour le restaurant. Les équipes du Pantruche, établi dans le IXe arrondissement, sont pressenties pour signer un contrat sous peu, espérant surmonter la pénurie de main-d’œuvre.

Quant à la promesse d’ouvrir tous les samedis, elle n’est pas encore effective. L’un des gagnants des confinements est la plateforme Drouot Digital, dont le produit des ventes a fait un bond de 50 % en 2020. Le site récupère en partie les vacations de petite valeur organisées auparavant en salle. « Nous faisons de plus en plus de ventes online only pour des questions de rentabilité », confirme un commissaire-priseur officiant à Drouot. La fusion de tous les sites sous l’adresse drouot.com est annoncée pour le 1er novembre, tandis que des adresses allemande, espagnole et italienne ont été lancées en juin. La salle des ventes 2, comprenant tout le matériel pour filmer les ventes, devrait être opérationnelle début 2022. Autant d’évolutions à saluer, dont on attend la matérialisation.

Capture d'écran du site Drouot Digital (drouotonline.com).
Capture d'écran du site Drouot Digital (drouotonline.com).
© Drouot Digital.
Lucie-Éléonore Riveron.
Lucie-Éléonore Riveron.
Photo Denis Boussard.
Exposition d'une vente à Drouot, Paris.
Exposition d'une vente à Drouot, Paris.
© Studio Falour.
Yonathan Chamla.
Yonathan Chamla.
Courtesy Maison R&C.
Exposition d’une vente à Drouot, Paris.
Exposition d’une vente à Drouot, Paris.
© Studio Falour.

Article issu de l'édition N°2242