Les décrocheurs sont identifiés à l’école, parfois dans les entreprises, et beaucoup dans les urnes. Les sociétés d’amis de musées, aussi, ont connu la désaffiliation, depuis le déclenchement de la pandémie. Car la contrepartie est l’une des motivations des adhérents de ces cercles, qui bénéficient d’un sésame pour visiter gratuitement, voire en avant-première, expositions et collections, mais aussi des visites d’ateliers, des conférences privées, des rencontres privilégiées avec les professionnels qui, au quotidien, font vivre ces institutions. Pourquoi continuer à donner à des musées auxquels on n’a plus eu accès pendant des mois ?
Quoique jugulée, l’hémorragie s’élève en moyenne à 20-25 % des membres. « Quand tout est figé, le chéquier l’est aussi », reconnaît Denise Vilgrain, vice-présidente des Amis du Palais de Tokyo. La société des Amis du musée d’Orsay a perdu quelque 200 membres sur un total d’environ 700. « On a perdu un cinquième de nos amis. Sachant que l’année 2019 était en très forte croissance, de fait nous sommes encore à un niveau supérieur à 2018 », relativise Floriane de Saint-Pierre, présidente de la Société des Amis du musée national d’art moderne, qui compte environ 600 adhérents. À Versailles, on signale avoir perdu « moins de bienfaiteurs que d’adhérents classiques ». Partout, les amis internationaux, qui ne pouvaient plus se rendre en France même à l’occasion des déconfinements, manquent à l’appel.
Internet en premier recours
Comment aller chercher ceux qui ont coupé les liens ? Comment reconstruire des habitudes collectives ? Après une (brève) phase de sidération, les associations d’amis se sont mises en ordre de marche pour reconquérir leurs troupes, d’abord par le digital à coup de visio-conférences et de lives Instagram. « On n’était pas sur ce créneau, car la moyenne d’âge de nos membres est de 60-64 ans », reconnaît Marie-Alix Caquelard, déléguée générale de la Société des Amis des musées d’Orsay et de l’Orangerie. Celle-ci a appelé un à un les bienfaiteurs peu rompus à Internet, augmenté pour les autres la cadence des newsletters, en mettant en valeur les acquisitions réalisées grâce à leur contribution, pour « souligner l’impact de leurs dons sur le musée », ajoute Lan-Hsin Arnaud, déléguée générale adjointe de ce cercle.
De même, la Société des Amis de Versailles a improvisé un magazine en ligne, pour informer ses 5000 membres des projets en cours avec moult témoignages de donateurs. « 400 articles ont été publiés sur le site », se félicite son président, Thierry Ortmans, dont l’équipe a aussi lancé, comme d’autres associations, des programmes de visio-conférences. « Il fallait garder ce qui nous mobilise tous, l’envie d’apprendre, même si c’est loin des œuvres », insiste Floriane de Saint-Pierre.
Dons et acquisitions
Autre défi : fédérer les membres autour de leur mission fondamentale d’acquisition. À l’automne dernier, les Amis d’Orsay et de l’Orangerie ont lancé une souscription, qui a permis de réunir 200 000 euros et finaliser ainsi l’achat d’un Garçon breton de profil, de Roderic O’Conor. « On a retrouvé le noyau de fidèles qui ne se positionnent pas qu’autour de la réouverture des musées », observe Lan-Hsin Arnaud. Depuis le déclenchement de la pandémie, la Société des Amis de Versailles a donné 70 000 euros pour des acquisitions. Grâce à la générosité de deux ses adhérents, Jérôme Plouseau et Christophe Caramelle, elle a ainsi acquis aux enchères un livre aux armes de Marie-Antoinette, Le Beau Garçon, par John Seally. L’association a également maintenu son engagement de financement, à hauteur de 225 000 euros, de la bibliothèque du Dauphin. « On a des fonds propres suite à des legs, des donations et des contrats d’assurance-vie dont nous sommes bénéficiaires, ce qui permet de compenser les pertes de cotisation accusées l’an dernier », précise Thierry Ortmans. Au Centre Pompidou, les amis ont pallié la défection de mécènes pour l’exposition « Elles font l’abstraction » en trouvant un nouveau sponsor, la plateforme de mode en ligne Mytheresa. Plusieurs membres ont également cotisé pour réunir 200 000 euros, fléchés vers l’exposition, la réalisation d’un catalogue et d’un colloque.
Élargir le spectre
Pour lever de nouveaux fonds, la Société des Amis du Louvre n’est pas non plus restée les bras croisés. Elle a ainsi lancé en décembre un nouveau cercle de mécènes avec une cotisation annuelle de 4 000 euros, qui a déjà récolté 300 000 euros. Pour inciter les troupes à reconduire leur cotisation, l’association a aussi proposé à ses adhérents une carte supplémentaire gratuite pour une personne de leur choix, « J’aime mon musée », ce qui leur a permis d’engranger 10 000 nouveaux prospects. Une stratégie qu’a aussi adoptée la Société des Amis des musées d’Orsay et de l’Orangerie, opération qui a permis à l’association de se constituer une base de 150 membres gratuits pour 2021. À charge pour ces musées de fidéliser ce vivier... Les Amis de Versailles ont lancé pour leur part une cotisation « adhérent personne morale ». Quant aux Amis du Palais de Tokyo, ils prévoient de lancer à l’automne un cercle international, sur le mode des grands musées français, pour élargir le spectre de ses membres.
Depuis le déconfinement et la réouverture des lieux culturels, les sociétés d’amis voient revenir leurs ouailles, lentement mais sûrement. « Ça monte en flèche », affirme-t-on à la Société des Amis du Louvre, qui a regagné 5000 membres entre le 19 mai et le 20 juin. « Il faut du temps pour que la visite de musée retrouve sa place dans le quotidien des Français », nuance Marie-Alix Caquelard, estimant qu'« on ne prendra vraiment la mesure des choses qu’en septembre ». Floriane de Saint-Pierre mise elle sur les événements internationaux de l’automne pour aller prêcher la bonne parole à l’étranger.